Le sol chrétien serait-il fertile pour Nicolas Sarkozy ?

Par Cahier

« La France a besoin de catholiques convaincus qui ne craignent pas d’affirmer ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient». Il ne s’agit pas d’un vœu pieu de Monseigneur Vingt-Trois, mais bien d’un extrait du discours de Nicolas Sarkozy, prononcé dans la basilique Saint-Jean-de-Latran en décembre 2007.

Une vraie rupture, du moins dans le verbe

Dans notre République laïque, confiner à tout prix la religion à la sphère privée – à condition qu’elle n’enfreigne pas l’ordre public – relève d’un instinct quasi-pavlovien : souvenons-nous de Jacques Chirac, ferraillant pour que la référence aux « racines chrétiennes » ne figure pas dans le préambule de la constitution européenne. Ce consensus, qui prévalait par-delà les clivages, a été ébranlé par le Président Sarkozy qui évoque de manière insistante l’ancrage du pays dans la culture chrétienne. Candidat à la présidentielle, il avait pris son bâton de pèlerin sur le Mont Saint-Michel pour débuter sa campagne. Une fois élu, il a développé le concept de laïcité positive, qui aurait le mérite de ne pas se construire en opposition aux religions. Son discours rompt avec celui de ses prédécesseurs. Il joue sur le registre empathique et évoque les « souffrances » issues de la loi de 1905. Estimant que l’identité de la France est « essentiellement chrétienne », il appelle à « restaurer et conserver le magnifique héritage de civilisation découlant du christianisme », mission à laquelle « l’État doit concourir ». Il insiste sur le bienfait du rôle du curé et du pasteur, qui ne pourra jamais être remplacé par l’instituteur. Les « laïcistes » s’insurgent.

Dans un registre plus humanitaire que polémique, la France a également fait entendre sa voix pour la protection des chrétiens d’Orient, dénonçant une tentative d’épuration ethnique et ouvrant ses portes aux réfugiés persécutés pour leur foi.

Tout avait commencé par l’islam…

En 2002, l’envie de se mêler du religieux, en particulier de l’islam, démangeait déjà le ministre de l’Intérieur et des cultes. Celui-ci s’était attelé à l’organisation d’un islam de France. Ce volontarisme n’a pourtant pas été très payant en termes de capital sympathie auprès des musulmans. Électorat ancré traditionnellement à gauche (selon l’Ifop, ils représentent 10% des sympathisants de gauche contre 1% de ceux de droite), ceux-ci rejettent aujourd’hui massivement Nicolas Sarkozy. A la suite du lancement du débat sur l’identité nationale, sa popularité auprès des musulmans a remarquablement baissé (passant de 27 à 17%), preuve qu’ils s’étaient sentis stigmatisés. Plus récemment, le débat sur la laïcité n’a pu que renforcer le malaise : le concept de laïcité deviendrait-il une notion à géométrie variable, s’efforçant de ne pas étouffer le christianisme, tout en servant de bouclier face à l’islam ?

La religion juive, à l’instar du christianisme, a également été mise en relief de manière positive : « le judaïsme a contribué à forger l’identité de la France », rappelait récemment le Président lors d’un diner au CRIF. Le tropisme pro-judaïque de Nicolas Sarkozy est connu. Depuis sa jeunesse, des raisons familiales le poussent à éprouver une sympathie toute particulière pour la religion et la communauté hébraïques. Celle-ci le lui rend bien, puisqu’elle constitue aujourd’hui un des derniers bastions de – relatif – soutien populaire (49% en sont satisfaits comme président).

Pendant ce temps, la France se déchristianise…

Le cynisme et la facilité inciteraient à expliquer qu’il s’agit d’une pure opération de marketing politique, vilement électoraliste, visant à draguer les franges aux sensibilités religieuses les plus vives. Il serait pourtant étonnant que les conseillers en communication politique aient attendu une époque où le christianisme a particulièrement reculé pour élaborer une telle stratégie électorale. Certes, le nombre de personnes se déclarant chrétiens reste important (61% des Français), mais l’intensité de leur vie religieuse s’est beaucoup affaiblie : seuls 15% se déclarent catholiques pratiquants, population aux cheveux de plus en plus grisonnants. Jean-Paul II, si attaché à la France, ressentait une grande perplexité face à cet athéisme latent qui hante l’Hexagone. Dans la même veine, l’influence catholique irrigue moins la société. A titre d’exemple, une récente étude de TNS Sofres montrait que seuls 11% des Français lisent parfois la presse catholique : elle dispose donc d’autant moins de relais dans l’opinion.

D’où la question : pourquoi assiste-t-on maintenant à un virage de la parole publique sur les chrétiens, et plus spécifiquement sur les catholiques ? D’autant qu’électoralement ils se situent déjà plutôt à droite, les catholiques pratiquants en particulier. Les thèses défendues par la droite se rapprochent en effet de valeurs proches de la culture chrétienne française : la valorisation du travail, la liberté de transmission à ses descendants des biens ou encore la défense du couple marié comme pilier de la société. La loi Tepa permettant de défiscaliser les heures supplémentaires, la quasi-suppression des droits de succession et le refus de s’atteler à la création d’un contrat civil pour les couples de même sexe (une des principales promesses de campagne non réalisées au cours de la mandature) répondent aux aspirations de cet électorat. En revanche, cette population, éprouvant une certaine méfiance à l’égard de l’argent, et attachée à la famille traditionnelle, a pu être troublée par le rapport qu’entretient Nicolas Sarkozy avec l’argent, par la théâtralisation de sa vie personnelle ou par sa manière d’incarner la fonction présidentielle. Aussi, Nicolas Sarkozy, qui n’est pas réputé pour être une grenouille de bénitier, a pu vouloir, au moins par le verbe, donner des gages à cette composante de son électorat.

Pourtant, l’évocation des « racines chrétiennes de la France », majoritairement approuvée par les catholiques (par 66% des pratiquants et 54% des non pratiquants contre 36% des athées), n’a pas suffit à enrayer la crise de popularité que subit le Président auprès de cet électorat. En effet, depuis son élection, Sarkozy a vu, selon l’Ifop, sa côte de popularité fondre de 29 points en moyenne chez les Français (avec 30% de popularité). Or, chez les catholiques elle a également connu une baisse dans des proportions équivalentes : 31 points chez les catholiques non pratiquants (avec 32%) et 27 points chez les catholiques pratiquants (avec 47%).

Des messages subliminaux

On aurait tort de se représenter ces messages comme ne s’adressant qu’aux croyants : ils sont en réalité largement subliminaux et à destination de l’ensemble de la Nation.

Dans un monde où les mutations effrayent au moins autant qu’elles enthousiasment, les références chrétiennes sont plus que symboliques. La crispation des Français les entraînent vers un retour à leurs racines, à leur culture. Le succès du bio, le retour en force de la famille, la progression spectaculaire du nombre d’entrées aux expositions culturelles, du nombre de visiteurs lors des portes ouvertes aux journées du patrimoine, le développement de la pratique de la cuisine ou du jardinage constituent autant d’indicateurs qui démontrent un besoin de réassurance, d’identifier des refuges d’authenticité et se réapproprier des valeurs transmises par la tradition. Aussi, en exaltant les racines chrétiennes de la France, le chef de l’État redessine un cadre culturel, auquel on n’osait plus faire référence, pour une société en proie à un manque de repères. François Mitterrand, que l’on ne peut pourtant pas suspecter d’une quelconque inclination cléricale, n’avait pas fait autrement en 1981, apparaissant sur son affiche électorale devant le clocher d’une église. Il s’agissait à l’époque d’apaiser l’image du socialisme dans une France encore conservatrice. 30 ans plus tard, il s’agit de rassurer une France tenaillée par le doute.

De même, le fait de rappeler qu’historiquement, la France est une terre chrétienne intervient dans un contexte de multiculturalisme croissant. On rassure ainsi une opinion parfois inquiète par la question de l’intégration des musulmans en France. Cela sonne également comme un avertissement : toute personne souhaitant s’intégrer doit prendre en compte que les bases de notre culture sont issues d’un creuset judéo-chrétien.

Enfin, ces références chrétiennes peuvent être mises en parallèle avec l’arrimage de la France au camp occidental. Depuis plusieurs décennies, la République se voulait être un pont entre les civilisations. Jaques Chirac a incarné à la perfection le bâtisseur de liens avec les peuples arabes, russe ou asiatiques, n’hésitant pas à se démarquer de ses alliés occidentaux. Le musée du Quai Branly illustre son message universel. Cette période semble révolue, et pas seulement parce que Nicolas Sarkozy est affectivement atlantiste ; ses désaccords de fond avec Barack Obama sont d’ailleurs légions. Depuis 10 ans, l’ascension irrésistible de puissances extérieures à « l’Occident chrétien », l’appréhension du basculement dans un monde où notre civilisation, pour la première fois depuis cinq siècles, ne dominerait plus le monde, pousse la France à rentrer dans le rang, faisant bloc avec ses partenaires proches. Aussi, la référence au monde chrétien rappelle ce qui, historiquement, lie les cultures de l’Occident entre elles : leur appartenance au même terreau de valeurs, issues du christianisme.