L’Etat français a exercé son droit de préemption, au nom des Archives de France, afin d’acquérir 113 de brouillons inédits écrits par Maximilien Marie Isidore de Robespierre de 1792 à 1794 – au plus fort de la Terreur - pour un montant de 979 400 euros lors d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s le mercredi 18 mai 2011 à Paris.
Il s’agit des premiers jets de cinq discours, quatre articles, une lettre et quelques notes.
Pour le contribuable, le prix à payer est de 8 667 euros par page.
La conséquence d’un lobbying d’adorateurs et de partis de gauche
Cette acquisition par l’Etat a été réclamée par plusieurs historiens et par le Parti Socialiste, le Parti Communiste Français et le Parti Radical de Gauche.
Pour Pierre Laurent, secrétaire général du PCF, il était en effet « impensable que ces documents et sources historiques quittent la France au risque d’être dispersés ». De même, les socialistes avaient enfoncé le clou : « Ces documents (discours, fragments, articles, notes, lettres) font partie de notre patrimoine et doivent être rendus accessibles aux historiens, aux chercheurs, aux étudiants et à l’ensemble du public intéressé ».
« Nous allons devoir réunir les fonds nécessaires pour que ces documents rentrent dans les collections des archives », a déclaré le directeur des Archives de France, Hervé Lemoine, à l’issue de la vente. L’Etat français a 15 jours pour acheter définitivement les documents.
Serge Aberdam, secrétaire général de la Société des études robespierristes affirme avoir lancé une souscription qui aurait déjà atteint « près de 100.000 euros » pour aider à l’acquisition de ces brouillons.
M. Aberdam s’est aussi déclaré «soulagé» car il avait peur que ces documents trouvent en un étranger un acquéreur et « ne partent aux Etats-Unis qui s’intéressent beaucoup à Marie-Antoinette mais aussi à Robespierre, pour d’autres raisons ».
Le 12 mai 2011, l’Etat s’était déjà porté acquéreur, au nom des Archives nationales, d’un manuscrit autographe de Robespierre, intitulé « Finances ».
Qui était Robespierre ?
Né le 6 mai 1758, fils d’un avocat, avocat lui-même, admirateur de Jean-Jacques Rousseau, il devient député de l’Artois en 1789 et dans ses 170 discours, dénonciateur inlassable d’intrigues et de conjurations. Principal animateur du club des Jacobins, membre de la commune insurrectionnelle lors de la chute de la Monarchie (août 1792), il devient l’un des chefs de la Montagne et vote pour la mort de Louis XVI.
Si jusqu’en septembre 1792, il défend les principes de la démocratie directe chère à Rousseau, il se fait le chantre de la représentation dès son élection à la Convention. Son génie est d’épouser toujours la conjoncture : il peut être monarchiste le 9 août 1792 et républicain le 11 sans contradiction, le peuple souverain ayant tranché le 10.
Membre du Comité de salut public, il frappe sur sa gauche les hébertistes avec l’appui de Danton en mars 1794 avant de se retourner sur sa droite contre les Indulgents et dantonistes. Après la chute des factions, il se trouve l’homme le plus influent de la Révolution : membre du Comité de salut public, maître du club des Jacobins et de la Commune de Paris qu’il a fait épurer au profit de ses partisans.
Le 5 février 1794, il s’était fait le défenseur de la Terreur associée à la vertu : « La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressans besoins de la patrie ».
La loi du 10 juin 1794 (22 prairial an II) aggrave la Terreur après un attentat contre Collot d’Herbois et une tentative contre Robespierre. Les ennemis du peuple devaient être condamnés à mort : répandre des fausses nouvelles relevait de cette catégorie. L’interrogatoire préalable et la présence d’avocats étaient supprimés, les preuves matérielles ou morales dispensaient de l’audition de témoins.
Après le vote de la loi, dont Robespierre a exigé un vote immédiat et unanime, il y eut 1376 exécutions en un mois et demi contre 1251 entre avril 1793 et juin 1794.
La fête de l’Être suprême (8 juin 1794) marque son apogée. Robespierre préside la fête comme président de la Convention. Loin d’annoncer la fin de la Révolution comme l’espèrent les contemporains, le nouveau culte civique redonne à la Terreur un fondement moral et une légitimité mises en cause par l’amélioration de la situation intérieure et extérieure. L’Incorruptible apparaît aux yeux de beaucoup comme un dictateur en puissance.
Une coalition se forme contre lui et après un discours où il demande une nouvelle épuration générale, Robespierre ne peut prendre la parole à la Convention le 9 thermidor et se trouve décrété d’accusation. La municipalité parisienne le libère de force, ce qui le faisait entrer dans l’illégalité, mais les troupes fidèles à la Convention investissent l’Hôtel de ville dans la nuit. Dans des circonstances obscures, Robespierre a la mâchoire fracassée par un coup de feu. Il est guillotiné le lendemain sans procès avec ses partisans, dans l’indifférence de la population.
Son idéologie jacobine
Politiquement démocrate, il a compris le lien entre démocratie politique et démocratie sociale : à ses yeux, de trop grandes inégalités de fortune risquent de rendre impossible la démocratie. Il déclare cependant : « l’égalité absolue des biens est une chimère et il condamne la loi agraire. Il n’est à aucun moment intervenu dans le débat sur la loi Le Chapelier. Il entend cependant lutter contre l’extrême disproportion des fortunes, source de bien des maux et des crimes. Comme il l’affirme : le premier droit est celui d’exister, la première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont surbordonnées à celle-là ». Sa définition très restrictive de la propriété est rousseauiste et en opposition avec le définition qu’en donne la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : la propriété est le droit qu’à chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.
Le jacobinisme unit différents principes comme la centralisation, l’égalité des citoyens, le goût de l’indépendance nationale, la vocation de l’État à transformer la société. Il incarne une autorité publique souveraine et indivisible dominant la société civile.
Ses admirateurs comme ses détracteurs ont vu en lui un précurseur de Lénine et dans le jacobinisme une préfiguration du bolchevisme.