Au-delà de l’affaire judiciaire et personnelle, c’est un séisme politique aux répliques encore largement inconnues. L’affaire Strauss-Kahn provoque en direct une recomposition du paysage politique. Quels candidats peuvent-tirer leur épingle du jeu ? En quoi la chute surprenante du favori des sondages modifie-t-elle la suite de la campagne présidentielle de 2012 ? Pour répondre à ces questions, Délits d’Opinion a interrogé Emmanuel Rivière, directeur du département Stratégies d’Opinion de TNS SOFRES.
Délits d’Opinion : Dominique Strauss-Kahn est-il mort politiquement ?
Emmanuel Rivière : La disparition politique de Dominique Stauss-Kahn pour 2012 est désormais actée. Bien sûr, la présomption d’innocence doit être respectée. Mais, pour être candidat à la présidence de la République, et même avant cela pour concourir à des primaires, il est rédhibitoire de présenter les fragilités qui affectent aujourd’hui son image. Et sauf coup de théâtre, il est peu probable même si les choses tournaient à son profit, que le calendrier judiciaire soit compatible avec les échéances de la primaire et de la campagne. Cet événement judiciaire change donc tout. Ce n’est plus la même primaire, plus la même campagne présidentielle.
Délits d’Opinion : A qui profite le crime ?
Emmanuel Rivière : D’abord, le crime ne profite pas à la classe politique. Certes, nos compatriotes ne généralisent pas à l’aune du cas Strauss-Kahn. Mais force est de constater que cette affaire, et les débats qui s’en suivent, ne tirent pas la politique française vers le haut. A cet égard, le sondage CSA publié ce mercredi matin, montre certes qu’aux yeux de nos compatriotes, les positions ne sont pas établies. Mais, l’idée même, partagée par une majorité de Français, qu’un complot soit plausible, donne la mesure de la haute idée qu’ils se font des mœurs politiques.
Délits d’Opinion : Au sein du PS, tout devient possible ?
Emmanuel Rivière : Effectivement, cela ouvre fortement le jeu, et replace Martine Aubry à un rôle de premier plan. Mais, on ne peut pas pour autant affirmer que l’affaire DSK profite à une première secrétaire qui avait fait alliance avec Strauss-Kahn.
En revanche, François Hollande, se retrouve plus clairement en position de favori. Il a le champ ouvert pour consolider une dynamique déjà enclenchée. Cette nouvelle position n’est pas forcément la plus facile quand elle survient si brusquement, mais lui permet d’espérer une primaire plus ouverte, à condition qu’il soit en mesure d’ajuster sa stratégie.
Il paraît déjà en mesure de rassembler au second tour au-delà de ses bases. Un atout, dans un contexte de rejet de Sarkozy qui lui permet de faire le plein de voix à gauche, et de mordre sur le centre. Mais cette aptitude était aussi partagée avec DSK. C’est pourquoi, jusqu’à présent, François Hollande devait combattre sur deux fronts : imposer une stature de présidentiable et se différencier de DSK en incarnant une gauche plus authentique. Les attaques sur le train de vie du directeur général du FMI, ou la Porsche, même si elles n’émanaient pas du camp Hollande démontraient d’ailleurs le point faible de DSK. La disparition politique de ce dernier rend dorénavant moins opérant l’enjeu de l’authenticité de l’ancrage à gauche et de la proximité du terrain comme atouts de différenciation. D’un autre côté, Hollande doit encore se renforcer sur un certain nombre de thématiques, sa stature internationale, ses capacités d’homme d’Etat, cruciales pour renforcer sa stature présidentielle.
Délits d’Opinion : La mort politique de DSK ouvre-t-elle d’autres espaces à droite ?
Emmanuel Rivière : Cela change particulièrement la donne au sein des candidats du centre. On voyait bien, en analysant le delta de Strauss-Kahn par rapport aux autres candidats du PS testés, que le Président du FMI rognait sur les candidatures qui se situent entre le PS et Sarkozy. Jean-Louis Borloo, François Bayrou, Dominique de Villepin, Nicolas Hulot ou Eva Joly : tous ces candidats perdaient des parts de voix quand on testait DSK. Tous peuvent profiter de son éviction, mais il est aussi très probable que l’un de ces candidats du centre rafle l’essentiel de la mise, au cours d’une campagne à même de créer une dynamique.
Délits d’Opinion : Est-ce un soupir de soulagement pour Nicolas Sarkozy ?
Emmanuel Rivière : Là encore, il y a les effets immédiats et les conséquences secondaires. Cette affaire débarrasse le Président sortant de son plus redoutable adversaire. Cependant pour Nicolas Sarkozy, la chute de DSK n’est pas forcément une bonne nouvelle. En libérant un espace au centre, en rendant moins probable l’échec dès le premier tour – c’est dans l’hypothèse Strauss-Kahn que Marine le Pen était la plus menaçante dans les sondages- Nicolas Sarkozy peut craindre la montée en puissance d’un vrai concurrent, et qui pourrait devenir un recours pour une partie de la droite.
Délits d’Opinion : Marine Le Pen a tenu des propos particulièrement durs envers le Président du FMI. Peut-elle profiter de la situation pour légitimer son discours contre les élites ?
Emmanuel Rivière : La configuration est à double tranchant pour Marine Le Pen. A première vue, elle touve une occasion de tirer son épingle du jeu, en se distinguant très vite du reste de la classe politique. Jouant sur le registre de la clarté face à l’omerta de l’élite, Marine Le Pen consolide son positionnement.
Mais à la réflexion, la nouvelle donne peut jouer en la défaveur de Marine Le Pen. Elle était aussi l’anti DSK idéale. Ils étaient en tous points opposés, par leur positon institutionnelle respective, leur parcours, leur discours. Marine Le Pen perd peut-être son meilleur ennemi.
Propos recueillis par Matthieu Chaigne