Voici une idée qu’il faudrait murmurer ŕ l’oreille de Thierry Mariani, secrétaire d’Etat aux Transports : il devrait installer des radars sur les autoroutes de l’information pour lutter contre les excčs de vitesse. Cela pour éviter que certains médias ne brűlent inconsidérément les étapes et tentent de passer directement aux conclusions avant l’heure. Une réflexion qui saute ŕ l’esprit un lisant dans un quotidien Ťnationalť qu’il convient dčs ŕ présent de mettre en cause la maničre de faire de l’équipage du vol AF447 Rio-Paris du 1er juin 2009. L’avion serait lavé de tout soupçon technique et des regards accusateurs se tourneraient dčs lors vers les pilotes, écrit un confrčre supersonique.
C’est trčs ennuyeux, pire répréhensible, problématique pour l’image des journalistes, injuste vis-ŕ-vis d’un équipage qui n’est évidemment plus lŕ pour s’expliquer, perturbant pour les familles des victimes, injustifiable pour ce qui est de la maničre du BEA de mener l’enquęte, pas ŕ pas, prudemment.
Outre le CVR, enregistreur d’ambiance mémorisant voix et bruits divers dans le cockpit, le DFDR, heureusement récupéré, qui plus est en bon état, met ŕ disposition des enquęteurs non moins de 1.300 paramčtres ŕ lire, étudier, ŕ passer au peigne fin. Ce qui constitue un travail de longue haleine qui interdit toute conclusion en temps réel. Ce qui devrait suffire ŕ affirmer qu’un commentaire basé sur la lecture qui ne fait que commencer n’est en aucun cas crédible. Sans préjuger de ce qui se dira d’ici lŕ, un rapport d’étape est annoncé pour juillet.
Martine Del Bono, qui dirige la communication du BEA, répčte inlassablement que Ťle temps de l’enquęte n’est pas celui des médiasť. Elle a évidemment raison mais lesdits médias font ostensiblement la sourde oreille, sachant qu’il est autrement valorisant de tenter de prendre tout le monde de vitesse. De męme, quand le SNPL, principal syndicat des pilotes de ligne français, s’insurge contre une Ťsimplification journalistiqueť, il est aussitôt suspecté de corporatisme. C’est la quadrature du cercle, un constat qui n’est pas rare dans le microcosme de la sécurité aérienne. D’oů la multiplication de dérives, de la présence récurrente de Ťl’information ŕ 2 ballesť.
Vient ainsi, tout naturellement, l’occasion de répéter un souhait tout ŕ fait paradoxal, que le BEA sorte de ses gonds, fasse une grosse colčre, tente de remettre les pendules ŕ l’heure. Mais, bien sűr, on sait qu’il ne le fera pas. Ť Le BEA ne polémique pas, le BEA s’attache uniquement aux faits ť, dit-on sans relâche au Bourget. De męme qu’Airbus évite soigneusement de mettre un commentaire, une opinion, sur la place publique. L’avionneur est juge et partie et, de ce fait, il est condamné au silence.
Tout se complique quand ses communications internes sont mises sur la place publique. Dans la foulée de la premičre lecture des enregistreurs, Airbus a adressé aux compagnies utilisatrices d’A330 ce qu’il est convenu d’appeler un ŤAccident Information Telexť les informant qu’ŕ ce stade de l’enquęte, aucun dysfonctionnement majeur de l’avion n’a été décelé. Une initiative logique, compte tenu de la légitime impatience des compagnies aériennes d’ętre tenues au courant des développements de l’enquęte. C’est cet AIT qui circule, suscitant le mécontentement des différentes parties en męme temps qu’il suscite le soupçon. D’oů vient la fuite ? Est-elle malveillante ou sert-elle plus simplement de faire-valoir ŕ quelqu’un éprouvant la satisfaction secrčte d’ętre dans la boucle, d’avoir une certaine importance, au demeurant factice ?
Voilŕ qui détériore davantage l’ambiance, qui contribue ŕ polluer l’énorme dossier de l’AF447. Heureusement, tout a une fin. L’épilogue reposera sur l’exégčse des informations fournies par les enregistreurs et mettra sans doute un terme ŕ l’čre du soupçon. Mais on sait aussi que la vérité ne fera sans doute pas plaisir ŕ tout le monde.
Pierre Sparaco - AeroMorning
Notre illustration : le CVR de l’AF447 récupéré en présence d’un officier de police judiciaire (doc. BEA).