Les choix du metteur en scène Martin Kusej ne laisseront personne indifférent. On se rappelera que le livret de Rusalka est largement inspiré de la Petite Sirène d'Andersen. Et Kusej a relu le conte en actualisant les horreurs qu'il contient. Dans le conte, la nymphe des eaux, la sirène, appartient au Monde souterrain des eaux, un monde régi par des règles strictes et despotiques que nul ne peut transgresser. Pour sortir de son confinement, pour accéder au monde supérieur des humains, il faut endurer des pertes et des souffrances incommensurables: perdre son immortalité, supporter la douleur intense de la naissance des jambes, accepter de devenir muette, sans espoir de retour. Naître à l'humanité est un accouchement extrêmement douloureux au résultat plus qu'incertain. Preuve en est que le prince dont est amoureuse la sirène s'en désintéressera et la laissera sur ses jambes traversées de la douleur de mille poignards, le coeur transpercé, sans qu'un cri libératoire ne puisse sortir de sa gorge condamnée.
Mais à l'étage supérieur, la société des humains vue par Martin Kusej n'est pas plus engageante: le Prince ne comprendra pas l'amour délicat d'une nymphe rendue muette et Kusej continue dans l'art de la provocation en le faisant copuler sur scène. Le Prince de Kusej plaquera la Princesse étrangère contre un mur et la fornique à souhait sous les yeux désespérés de Rusalka qui n'a que son corps torturé pour exprimer son désespoir et les tourments de son âme à l'agonie. Ailleurs, le garde forestier abuse sexuellement du garçon de cuisine, ou de la fille de cuisine puisque le rôle est ici confié à une femme.
Kusej baigne sa mise en scène dans le sang, ou, plutôt, si cela peut rassurer, dans l'hémoglobine de théâtre: des reproductions de chevreuils sont dépiautées sur scène, les mains du garçon boucher et de la fille de cuisine sont plongées dans de sanguinolentes viscères synthétiques, Kusej organise une valse de figurants et de figurantes en robes blanches de mariées, qui dansent tenant dans leurs bras autant de chevreuils dépiautés, les robes et les visages se couvrent de sang et les mariées en folie se mettent à dévorer la chair crue des chevreuils. Tout ce sang finira par disparaître quand plus tard on retrouvera les enfants dans une chambrée de lits de fer blancs, habillés de vêtements blancs purifiés de leurs souillures. Nos hôpitaux et nos orphelinats sont les lieux où l'on va oublier et laver les corps, redonner une apparence de propreté. Mais les âmes?
Ces scènes sont autant de miroirs qui nous interrogent. Ce que Kusej dénonce, c'est la perte de l'innocence d'une société carnassière qui tue des animaux fragiles, violente les femmes et abuse sexuellement de ses propres enfants. Kusej pointe du doigt l'inadmissible et, de même que Rusalka crèvera le décor idyllique des montagnes en lacérant la toile qu'elle traverse, Kusej brise nos apparences si bien construites et nous confronte en nous obligeant à considérer de front nos problèmes sociétaux.
Il y a eu lors de la première, et il y aura peut-être encore lors de cette reprise, un public qui ne peut ou ne veut pas entendre ce type de messages, un public pour qui la petite sirène est un dessin animé issu des studios Disney, un public qui veut du rêve teinté à la fleur bleue. La musique le lui procure . Sans doute ne veut-on pas se sentir corresponsables des inégalités femmes-hommes, ni, pire encore, des violences sexuelles contre les enfants et contre les femmes. Le rôle que se donne un metteur en scène du format de Kusej n'est pas celui de l' amuseur public, d'autant qu'il en a des tas qui font cela, et fort bien du reste. Kusej ne provoque pas, il dénonce, il fait prendre conscience, c'est inconfortable et dérangeant, très dérangeant.Martin Kusej, un grand metteur en scène, dont la Bavière a eu l'intelligence de se doter pour diriger le théâtre d'Etat, le Bayerisches Staatsschauspiel. Ce n'est sans doute qu' une question de temps et d'éducation, mais le public finit toujours par reconnaître le génie.
Dates des représentations: Les 22/25/29 mai 2011
Le 1et et le 4 juin 2011
Et dans le cadre du festival d'opéra de Munich: les 15 et 18 juillet 2011
Réservations: cliquer ici
*Photo Peter Uhan