Laurent Binet, HHhH

Par Edgar @edgarpoe

Encore ?! Après les Bienveillantes encore un livre sur le nazisme et sur un bourreau (Reynardt Heydrich cette fois-ci) ?

Oui et non. Oui parce qu'il s'agit encore d'un livre sur la seconde guerre mondiale, donc encore d'un ouvrage qui cherche à "comprendre"  ce trou noir de la pensée.

Non parce que le livre aurait dû s'appeler autrement, avec un titre centré sur non sur Heydrich mais sur les résistants qui l'ont abattu. Non également car ici absolument nulle trace de complaisance ou d'ambiguité : aucune sympathie pour Heydrich dans cet ouvrage.

C'est donc un roman sur l'assassinat de Heydrich. Avec une qualité particluière : c'est un roman historique qui se refuserait à être un roman. Binet, qui a vécu à Prague et s'est senti en devoir de raconter l'histoire de  Gabcik et Kubis, les résistants qui ont abattu le protecteur du Reich en Bohême-Moravie.

Il veille scrupuleusement à l'exactitude des détails. Pourquoi alors ne pas appeler ce livre un récit historique ? Parce que Binet s'est introduit comme personnage. Un peu comme Gotlib utilise, dans ses BD, des coccinelles qui viennent commenter le texte, en une mise en abyme humoristique ; Binet se campe en écrivain qui doute, se documente, peine avec ses héros. A l'heure où disparaissent les derniers témoins de l'époque, susceptibles de rectifier un récit historique erroné, il est important de mettre en scène une exigence, un impératif d'exactitude.

Le résultat final est un bon livre, solide, où l'on apprend ou se rémémore nombre de faits importants. Par exemple j'avais oublié le rôle prééminent de Bousquet dans la collaboration. Binet : "Je ressens une très grande répulsion et un très profond mépris pour quelqu'un comme Bousquet, mais quand je pense à la bêtise de son assassin, à l'immensité de la perte que son geste représente  pour les historiens, aux révélations qui n'auraient pas manqué lors du procès et dont il nous a irrémédiablement privés, je me sens submergé de haine. Il n'a pas tué d'innocent, c'est vrai, mais c'est un fossoyeur de la vérité. Et tout ça pour passer trois minutes à la télé ! Monstrueuse, stupide excroissance warholienne !".

Tout parallèle avec l'exécution de B. Laden par les USA serait, comme on dit, way off base...

A propos des Bienveillantes, un jugement pas faux : "Soudain j'y vois clair : les Bienveillantes, c'est Houellebecq chez les nazis, tout simplement". Max Aue en personnage houellebecquien, dépravé et désabusé, ultra-moderne. Je ne connais pas assez Houellebecq pour en juger et je ne suis pas entièrement convaincu. Mais il y a probablement quelque chose d'anachronique au minimum dans le Max Aue.

Rien de cela ici, car il ne s'agit pas de rentrer dans la psyché des personnages, mais simplement d'accumuler des détails vrais qui aideront les lecteurs à se faire une idée de l'époque.  A balancer également entre le courage des praguois qui aidèrent les résistants parachutés depuis Londres, et la lâcheté de quelques traitres et collaborateurs. A comprendre aussi le retentissement que l'assassinat de Heydrich eût dans le monde entier, par le geste lui-même mais également en réaction à la répression nazie et au massacre de Lidice. Massacre dont les nazis eurent le tort - pour leur propagande - de se vanter, au lieu, comme pour l'extermination des juifs, de mener leurs opérations dans le plus grand secret.

Comme pour Guernica, Lidice fut un symbole de l'oppression nazie avant la découverte des camps.

Un très bon livre.

Mémorial des victimes de Lidice

Source : CzechFolks.com