C’est finalement dans ces derniers instants que l’on reconnaît les films que l’on attend le plus. Je ne suis pas sûr que l’excitation de l’imminence m’était nécessaire pour constater à quel point j’avais envie de voir The Tree of Life. Pourtant ces minutes qui ont précédé l’entrée en salle ont été intenses. Je me souviens de ce jour d’hiver 2006 où je me tenais dans le couloir menant à la salle 1 de l’UGC Ciné Cité des Halles, attendant que les portes s’ouvrent. Je me souviens de ces mots qui résonnaient inlassablement dans ma tête (« Je vais voir le nouveau Malick ! Putain ça y est je vais voir Le Nouveau Monde ! »). C’était il y a un peu plus de cinq ans, mais c’est la même excitation que j’ai retrouvé en ce mardi 17 mai lorsque je me suis planté dans la file d’attente, devant cette salle dans laquelle j’allais découvrir The Tree of Life.
Mon cœur battait la chamade et je m’énervais de voir ces gens avançant nonchalamment le long de la file, croyant qu’ils ne s’agissait pas là de celle de The Tree of Life, et ne faisant pas demi-tour pour faire la queue une fois arrivés devant et constatant leur erreur. Ces gens-là, à cet instant précis, je leur aurais bien décroché la tête. Bon, au moins gueulé dessus un bon coup. Mais nul n’est plus prompt que moi pour gérer l’entrée en salles et s’assurer d’une bonne place, encore plus lorsqu’il s’agit d’un film de Malick. L’excitation dure bien jusqu’à la dernière seconde. La dernière seconde, c’est celle où la salle s’éteint et où les logos des distributeurs apparaissent à l’écran, annonçant la fin de l’attente. La fin d’une longue attente en l’occurrence. C’est une des sensations les plus incroyables au monde. Savoir que LE film commence, celui que l’on espère depuis des mois, des années. On a compté les jours, les heures. Et le voilà prêt à débouler sous nos yeux.
Je ne sais combien de spectateurs attendent The Tree of Life avec une ferveur comparable à la mienne. Je ne sais combien de spectateurs peu familiers du style et de l’œuvre de Terrence Malick iront voir son cinquième long-métrage. Un certain nombre j’imagine, à en juger par le taux de remplissage des salles, jusqu’ici assez fort. Pour certains qui ne le connaissaient pas, ce sera peut-être une révélation. D’autres seront abasourdis et déçus, à n’en pas douter. Certains qui aiment les autres films de Malick aussi, probablement. Quelques heures se sont écoulées depuis ma sortie de la salle, et une partie de mon attention se balade encore dans l’esprit de Malick. Le temps s’est arrêté.
Quels sont donc les questionnements qui agitent un homme pour le pousser à réaliser une telle œuvre ? Je n’avais jamais vu de film comme The Tree of Life, ce qui en soit n’est pas un gage de qualité je vous l’accorde. Pourtant c’en est un, si, mais là n’est pas la question. Le film en fera fuir plus d’un. J’étais trop absorbé pour faire attention à ce qui se passait dans ma salle, mais j’aurais du mal à croire qu’aucun spectateur ne se décourage devant une œuvre aussi déroutante. Malick n’est pas un amateur en matière de cinéma méditatif, contemplatif et métaphysique, mais il n’était jamais allé aussi loin. Il bouscule ses atermoiements personnels plus forts que jamais. Si The Tree of Life est son film le plus extravagant, c’est aussi, certainement, son œuvre la plus personnelle.
Le degré métaphysique de l’œuvre du cinéaste déroutera, oui. Mais The Tree of Life est une proposition de cinéma sensoriel qui réfute tout carcan. Carcan visuel, carcan spirituel, carcan intellectuel, il n’y a rien de tout cela ici. Malick a toujours exprimé ses réflexions sur la vie, la mort, la place de l’homme dans l’univers, la perte de l’innocence dans son cinéma, et The Tree of Life en est probablement l’expression paroxystique. C’est une plongée dans l’espace, c’est une séance de théologie, c’est une exploration de la psyché humaine. C’est aussi, ne laissons pas l’expansion de l’univers et les dinosaures nous distraire de cette évidence, un puissant drame sur le deuil. Le deuil impossible d’une mère, celui impuissant d’un frère. Si Malick offre une grandeur éblouissante autant qu’étrange et maladroite à son film en le projetant dans l’infiniment grand, il noue en son cœur un drame familial poignant, celui d’un fils ne sachant comment se comporter entre ce père autoritaire qu’il déteste peu à peu et cette mère si douce qui est un refuge pour lui et ses frères. Derrière ses grands airs, c’est ici que se joue le film, dans cette Amérique des années 50 que Malick capte avec une puissance, une vérité et une poésie offrant un ravissement exaltant.
Je ne sais pas ce qu’attendent les spectateurs qui iront voir le cinquième film de Terrence Malick. Certains ne viendront peut-être que parce que Brad Pitt joue dedans. Mais ils seront bousculés. Ils seront stimulés. Ils auront peut-être un goût de déception, mais ils vivront un voyage cinématographique comme aucun autre. Cela valait bien quelques années d’attente.