Nous sommes nombreux à avoir lu Alexis de Tocqueville qui, quoi qu’on en dise, restera, à jamais, l’un des maîtres incomparables de l’essai politique. Son verbe était sublime parce que clair, parce que précis, parce qu’hautement prophétique. Tocqueville, c’est l’homme qui a su expliquer avec virtuosité et justesse les mécanismes qui fondèrent l’âme démocratique américaine. Avec lui, nous ne sommes plus des ignorants mais des intelligents du pays de Kennedy. Et donc, c’est, de nouveau, vers lui qu’il faille chercher lumière pour comprendre l’attitude des magistrats new-yorkais envers Dominique Strauss-Khan (photo), inculpé pour agression sexuelle et tentative de viol envers une employée de l’hôtel Sofitel. D’abord, retenons, une fois pour toutes, ce catéchisme : le système juridictionnel américain est accusatoire, or celui de la France est inquisitorial. Cela veut dire que chez les Américains celui qui est réputé victime possède tous les égards, toutes les protections. On lui doit une royauté. On lui prépare une cuirasse que nul ne doit détruire. Cela démontré : pourquoi des personnages aussi distingués que Robert Badinter (par ailleurs avocat), Jack Lang (par ailleurs professeur de droit) osent s’en prendre à cette Justice étasunienne, dont ils n’ignorent guère le fonctionnement traditionnel ? Est-ce pour prêter main-forte à un pote empêtré dans une affaire politico-médiatico-sexuelle ? Certainement, oui. Mais la défense d’une amitié ne signifie pas qu’on mette sous le boisseau la rationalité. Qu’on subodore le fait que l’Amérique ne sait pas dire le droit. En dépit de tout, cette terre ne vit pas sous le régime de la tyrannie mais sous le régime de la démocratie. Jusqu’à ce qu’advienne la vérité du procès, nos pensées doivent, en premier lieu, être tournées vers Nafissatou Diallo, cette présumée victime, cette habitante du quartier de Bronx, originaire de la Guinée, dont les voisins du palier qualifient de « discrète », de « travailleuse ». Toutes les logorrhées sur un éventuel complot qu’on entend ici ou là ne tiennent pas la route. Elles sont une vue de l’esprit. De plus, DSK, avec sa réputation de coureur de jupons, de « chaud lapin », de séducteur invétéré, fragilise, lui-même, sa défense. Une femme a été touchée dans son intégrité physique. Elle l’a dit. Entendons son cri.