De prometteuses perspectives se dessinent ŕ l’export
L’enthousiasme d’Ed Strongman, chef pilote d’essai d’Airbus Military, est joyeusement communicatif. Il est intarissable sur les excellentes qualités de vol de l’A400M, désormais fort de 1.600 heures de vol accumulées par quatre avions basés ŕ Séville et, occasionnellement, ŕ Toulouse. L’avion est techniquement bien né, de toute évidence, et le psychodrame budgétaire qui a fait vaciller le programme multinational commence ŕ s’estomper dans les mémoires. Le retard mis ŕ part, bien sűr : le premier exemplaire sera livré début 2013 ŕ l’armée de l’Air française, la Turquie suivra, puis les autres acheteurs. Au total, sept pays partenaires ont commandés 174 exemplaires, six de moins que prévu initialement pour cause de surcoűt survenu en temps de disette budgétaire. S’y ajoutent quatre avions achetés par la Malaisie.
Cédric Gautier, directeur du programme, et Antonio Rodriguez Barberan, directeur commercial, affichent leur confiance retrouvée dans l’avenir. Et ils s’avancent en estimant qu’environ 400 exemplaires seront vendus ŕ l’export. Ť C’est un avion que nous produirons pendant 40 ans, affirme Cédric Gautier, ce qui ne relčve pas nécessairement des vœux pieux. En effet, l’appareil européen, tout ŕ la fois tactique et stratégique, s’inscrit intelligemment entre deux prétendants américains désormais en fin de carričre, le Lockheed Martin C-130J Hercules et le Boeing C-17A Globemaster II. La premičre version du C-130 est trčs ancienne (elle est apparue dans les années cinquante), le C-17, plus gros et beaucoup plus cher, s’achemine lentement vers une honorable fin de carričre.
Dans ces conditions, tous les espoirs sont permis. Depuis l’intégration de Construcciones Aeronauticas (Casa) dans EADS et, de fait, dans Airbus Military, l’avionneur européen a sensiblement élargi son offre militaire. On la croit souvent limitée aux différents types d’A330 sous uniforme, y compris les ravitailleurs en vol qui ont vainement tenté leur chance auprčs du Pentagone. Mais il ne faudrait pas négliger pour autant une gamme de petits bimoteurs dont un bon millier d’exemplaires ont été vendus ŕ non moins de 63 pays. Ainsi, l’armée de l’Air française dit le plus grand bien de ses CN-235 basés ŕ Creil pour certains, lŕ oů se déroulent des Ťopérations extérieuresť pour les autres.
Antonio Rodriguez Barberan, ŕ ce stade, cherche surtout ŕ donner de la visibilité ŕ l’A400M, tout en fourbissant ses armes pour passer ŕ l’étape suivante, la présence systématique de l’avion aux grands salons internationaux et de grandes tournées de présentation. Discret sur les marchés potentiels prioritaires –c’est de bonne guerre- il évoque la possibilité de livrer de nouveaux clients dčs 2015. Cela en sachant qu’au terme d’une lente montée en puissance, dans 4 ans, l’A400M sera produit au rythme de deux exemplaires et demi par mois.
Au-delŕ de l’argumentation classique qui accompagne ce type de matériel militaire, on retrouve une analyse commerciale qui devrait susciter une certaine forme de sympathie de la part de l’opinion publique et des politiques. En effet, dans la vraie vie, l’A400M a aussi une vocation résolument humanitaire qui ne souffre évidemment pas la moindre critique. Il n’est de ce fait pas inattendu d’entendre dire, ŕ Séville et ŕ Madrid, que des catastrophes naturelles ont affecté deux milliards de personnes au cours de la derničre décennie. Et, l’année derničre seulement, qu’elles ont fait 62.000 victimes. D’oů la nécessité, l’obligation morale, de disposer de moyens permettant une réaction rapide, la possibilité d’intervenir, d’aider, de sauver, de soulager.
D’autres éléments interviennent, qu’il est trčs rare d’entendre au sein de l’industrie aéronautique. A savoir qu’un appareil comme l’A400M peut jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre la pollution pétroličre ou encore la guerre aux narcotrafiquants. Il ne s’agit pas tout ŕ fait d’une niche, le marché potentiel étant estimé ŕ 800 appareils.
C’est probablement le début d’une belle histoire européenne. Bâti sur un raisonnement solide mais s’appuyant en un premier temps sur l’optimisme irréaliste des partenaires industriels, l’A400M a bien failli capoter. La tentation est grande de réécrire l’histoire, de critiquer les exigences contradictoires des Forces armées, le contrat forfaitaire qui ne comportait pas de marge de manœuvre. De plus, le montage propre ŕ Airbus Military était particulier, la société-mčre n’étant pas tout ŕ fait libre de ses mouvements. Sans parler des maillons faibles, ŕ commencer par le lâchage de l’Italie. Aujourd’hui, le message est clair : il est urgent d’oublier ces erreurs de jeunesse, aussi coűteuses soient-elles. Ce n’est pas pour autant chose facile.
Pierre Sparaco-AeroMorning
(photo Daniel Faget)