e fume.
Mettez un chapeau, attrapez des bisons au lasso je sais pas, barrez-vous au soleil couchant, faites quelque chose bordel.
Bien évidemment, quand j'ai commencé, c'était pour me sentir comme un grand. Un grand couillon ouais. Mon premier paquet de clopes, je me souviens, je l'ai acheté chez les sauvages, à Chamrousse, dans un magasin de souvenirs autochtone pittoresque.
En fait ce n'était pas un magasin de souvenirs, je l'ai compris plus tard, c'était un bureau de tabac. Au milieu de pleins d'autres magasins de souvenirs, c'est pour ça qu'il y a eu méprise de ma part, parce que d'une part, je n'étais pas fin intellectuellement et je ne l'ai jamais été soyons honnêtes, et aussi parce qu'à l'époque, mes cheveux longs recouvraient mon regard franc et généreux mais un peu con de l'adolescent niais typique. Que je suis resté par certains côtés, madame pow wow pourrait en témoigner.
Oh pis non, ne lui demandons rien sinon elle va encore nous faire la morale pendant trois heures. Oh la la celle-là alors, faut se la farcir chte garantis.
Parce que c'est vrai que lorsque j'étais entré dans ce magasin, c'était pour acheter un souvenir pour ma mère, genre un truc bien pénible qui allait lui rester comme un fardeau jusqu'à la fin de sa pénible existence et dont pourtant elle ferait mine de s'émerveiller en me jurant par tous les saints qu'elle n'eût jamais rien contemplé d'aussi splendide depuis au moins sa visite dans les ruines de Pétra en Jordanie, un truc comme un petit chalet savoyard en plastoc qui donne la température par exemple. Je voulais rejouer le retour du fils prodigue qui s'en revient magnifiquement la tête haute et le port altier, les bras chargés de trésors conquis de haute lutte, alors qu'elle, elle n'aurait sûrement vu que son grand dadais qui revient encore avec des merdes plein sa valoche et du linge sale par dessus le marché, saloperie de gamin, si j'avais su.
La vision d'un parent et de son enfant sont en complet décalage, en fait. C'est comme un choc des civilisations ordinaire.
Déjà on ne s'entendait pas. Mutuellement.
Je veux dire d'un simple point de vue acoustique, s'entend.
Enfin si on peut dire.
Elle, elle écoutait Joan Baez sur sa chaîne à volume 2 , pendant que moi je faisais péter Highway to hell ou Back in black ou Antisocial sur la mienne à volume 372.
D'où décalage.
Et en entrant dans ce magasin de souvenirs car j'y reviens, je fais c'que j'veux c'est pas toi qui dis c'est moi, j'avais été frappé car les souvenirs n'étaient pas très variés. Sur la gauche en entrant il y avait un étal avec plein de paquets de vingt souvenirs de plein de marques différentes, et certes les paquets étaient différents et colorés, mais la teneur des souvenirs était sensiblement la même, les taux de goudrons ou de nicotine des souvenirs ne variant que très peu, et j'eus nettement l'impression qu'ils se faisaient pas chier dans la vie les savoyards en fait.
Saloperies de montagnards.
A la droite de la boutique de souvenirs, il y avait un autre rayon, très bien achalandé celui-là, un long comptoir sur lequel étaient accoudés plein de vieux souvenirs à moitié torchés du pompon, alors là du pur produit savoyard, habillé savoyard et parlant savoyard et racontant des blagues pourries savoyardes. Certes c'était totalement pittoresque et bariolé comme un bonnet péruvien, mais après une rapide évaluation visuelle, je conclus en un clin d'oeil qu'un souvenir comme ça ne rentrerait jamais dans la valise, et que vu comme ça gueulait pour avoir un coup à boire ces bêtes-là, je ne passerais jamais le contrôle des brigades de répression du bruit dans les valises comme il y en avait encore à l'époque à la frontière, puisque de mémoire la Savoie n'était pas encore française quand j'avais quinze ans. Mais je peux me tromper. Mais aussi non. Mais ça dépend.
Je crois me souvenir que la Savoie a été annexée par la France en 1989, j'ai le très net souvenir d'avoir vu un mur tomber à la télé dans l'Est, du côté de la Savoie donc. Ça corrobore. C'est vrai qu'il était temps pour eux d'intégrer la civilisation avancée, pour sortir du moyen-âge. Je me souviens qu'à l'aller, passé Grenoble, le chauffeur du car avait fermé les portes à double tour pour que nous ne soyons pas attaqués par les loups et les ours, et l'on nous avait vaccinés contre la peste au départ de la gare routière. Les fenêtres du car étaient grillagées et au sommet il y avait une tourelle avec un canon de 150, je m'en souviens très bien, car je me suis dit alors "tiens un canon de 150, c'est exactement les deux-tiers d'un canon de 225 tiens alors ça c'est marrant alors" tu parles si je m'en souviens je vois pas pourquoi je vous mentirais.
La compagnie de transport avait installé ce canon car il y avait eu, les jours précédant notre départ, des attaques de cars de touristes par des savoyards, et au moins un car d'allemands avait été complètement mangé si je me souviens bien, bagages compris. Enfin un car d'allemands, je veux dire que tous les allemands, les quatre quarts, avaient été mangés. Pas quatre cars d'allemands hein. Ils avaient mangé un car d'allemands, avec un car de citoyens soviétiques pour faire glisser. Un car d'allemands avec un car de rouges.
Faut dire que le savoyard est une bête sauvage.
Le savoyard est un fondu, faut le savoir.
Je disais donc, avant cette parenthèse ethnologique d'une importance capitale autant que d'une rare pédagogie ainsi que d'une exceptionnelle acuité vous l'aurez remarqué, qu'il est bien et sage que pour les enfants, dans la perspective de ramener un souvenir à leurs parents lors de voyages groupés, ou pour eux-mêmes, on ait fait de considérables efforts esthétiques sur lesdits paquets de clopes avec des images dessus.
A collectionner.