Alanguilan © Ca et Là - 2010
Jake Gallo est un écrivain en panne d’inspiration, au chômage de surcroit. Il mène une vie on ne peut plus banale jusqu’à ce qu’il apprenne qu’Elmer, son père, a fait une crise cardiaque. Il se rend chez ses parents, son père est très affaibli… il décède quinze jours plus tard, en octobre 2003. Jake décide alors de rester auprès de sa mère pour la soutenir dans cette épreuve. C’est aussi pour lui l’occasion de retisser des liens avec son frère et d’apprendre les fiançailles de sa sœur avec un humain. Jake est indigné ! Sa sœur va se marier avec un humain ! Oui, Jake est un coq. Chaque jour, il se sent victime de l’hypocrisie des hommes, du racisme ou de la discrimination à l’embauche. Il se sent méprisé et ses difficultés à retrouver un emploi que font qu’entretenir sa haine à l’égard des humains.
Quelques jours après l’enterrement d’Elmer, sa mère le prend en aparté pour lui remettre le journal intime du défunt. Ce sont-là les dernières volontés du paternel : que son « enfant préféré » soit le premier dépositaire de son témoignage et de la mémoire de leur famille. Jake remonte ainsi en 1979 et revit les événements tels qu’ils ont été vécus par ses parents. A commencer par cette nuit où, durant quelques secondes, un grand halo de lumière a éclairé la nuit. Le lendemain, les gallinacées étaient dotées d’une âme, d’une conscience et du langage. Jake va donc découvrir les conséquences de cette révolution et l’histoire de tout un peuple.
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Merci d’avoir pris cette bande dessinée. Que vous l’ayez achetée ou empruntée à quelqu’un, merci de me donner l’opportunité de partager mes histoires. (…) pour une raison quelconque, mon voisin de classe voulait lire cette histoire, et il pleura après l’avoir lue. Ça a été une surprise pour moi d’obtenir ce genre de réaction. Je trouvais ça bien. Non, je trouvais ça génial de voir qu’une de mes histoires semblait suffisamment réelle pour susciter une émotion. Et puis une autre surprise : mon camarade m’a donné 10 pesos pour écrire le prochain chapitre. Ouah !
Voici les premiers mots de la préface de Gerry Alanguilan. L’auteur revient sur une passion qu’il nourrit depuis qu’il est enfant : dessiner. Il explique son rapport au monde imaginaire, le besoin de le mettre en image, l’importance qu’il consacre à ce partage. Le ton est chaleureux, l’auteur est humble, il ne m’en fallait pas plus pour accepter son invitation à le lire et m’enfoncer confiante dans cette lecture. Cet artiste s’est fait connaitre aux États-Unis via son travail de colorisation sur des albums de chez DC et Marvel. En parallèle, il réalisait déjà ses propres albums aux Philippines (depuis 1992) où il a très largement contribué à l’essor de la bande dessinée dans son pays. Son premier ouvrage (Wasted) est auto-édité puis, en 2004, Gerry Alanguilan crée sa propre Maison d’Edition (Komikero Publishing) qui lui permet notamment de publier Elmer (2006).
Le scénario est fluide, le ton est juste et le personnage principal est honnête envers lui-même. Je lui ais emboité le pas grâce à ses bulles de pensées. Rapidement, j’étais dans sa tête à partager avec lui les joies, les peines, les sentiments de haine ou d’amour. Avec Jake, j’ai haïs les hommes pour leurs folies meurtrières et lorsque Gerry Alanguilan revient sur la peur panique suscitée (chez l’homme) par la grippe aviaire… rien n’y a fait ! Je me suis identifiée à Jake et à sa famille. La manière dont leurs émotions et leurs inquiétudes sont retranscrites m’a émue, j’ai eu de l’empathie pour cette espèce. Gerry Alanguilan a placé son album sur une fine frontière entre « fable » et réalité, il maîtrise parfaitement son univers. L’auteur ne nous fait rien découvrir car ce monde est le nôtre au quotidien : entre haines raciales, génocides, discriminations… ce sont autant d’aspects qui nous sont familiers. Le scénario est d’une richesse et d’une technicité certaines ; il dispose du recul nécessaire (la voix de son père vient du passé) tout en laissant une grande place à l’affect. Les nombreuses allées-venues passé/présent donnent un rythme agréable à la narration. Enfin, l’auteur se repose sur la cohabitation forcée entre hommes et volailles (où les Gallinacées représentent tous les peuples opprimés, symbolisent toutes les différences qu’elles soient raciales, ethniques, religieuses, intellectuelles…) pour introduire une réflexion sur les notions de tolérance, d’égalité, d’entraide… Il a créé un album troublant et émouvant. Beaucoup d’humour et de dérision permettent à l’auteur de faire passer un message fort : Alanguilan ne heurte pas le lecteur, il l’émeut.
L’utilisation du noir et blanc sert réellement le récit, laissant à chacun la possibilité d’y injecter ses propres couleurs. Le graphisme est plus convenu, il m’a dérangé sur certains passages, parfois cru et maladroit, souvent figé. La qualité de la narration contrebalance largement cette gêne d’autant que les dessins d’Alanguilan sont détaillés, expressifs et véhiculent quantité d’émotions. J’ai encore en mémoire ces pupilles dilatées des coqs décapités semblables à des gouffres d’angoisse dans lesquels j’ai eu peur de plonger.
Je partage cette lecture avec Mango et les participants des
J’inscris également cette lecture dans deux Challenges BD : le Challenge PAL Sèches et Le Reading Comics Challenge
Le trailer :
L’album a été nominé pour le meilleur Roman Graphique aux Eisner Award 2011. J’ai hâte que ses autres albums soient traduits en français pour pouvoir les découvrir !
L’avis de kbd.
Extrait :
« Des MILLIONS, Jake. C’était affreux ! Des millions des vôtres sont morts. Personne ne sait combien. Ils étaient trop nombreux. Des millions de victimes innocentes. Jamais je n’ai détesté à ce point être humain. Pour moi, notre race était maudite. Je ne comprenais pas qu’on soit autorisés à survivre alors que de toutes les espèces, nous étions celle qui le méritait le moins » (Elmer).
Elmer
Editeur : Ça et là
Collection : Longues distances
Dessinateur / Scénariste : Gerry ALANGUILAN
(le site : http://www.alanguilan.com/sanpablo/elmer/)
Dépôt légal : novembre 2010
Bulles bulles bulles…
Lire les 27 premières pages sur Digibidi
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