Welcome to the jungle
Publié le 17 mai 2011 par Keimuta
Article écrit par Damien.
Après trois jours et trois nuits de bus divers et variés, d'errances, d'heures d'attentes dans des terminaux traversés d'hommes aux mines fermées, baignés de lumières incessantes, de klaxons stridents, de moteurs aux toux rauques, brinquebalés, bousculés, étouffés par les fumées noires des moto-taxis, votre esprit n'est plus tout à fait le même, vos pensées se limitent à un simple brouhaha, à quelques voix qui flottent sans réellement atteindre votre compréhension.
Le soleil frappe de ses deux mains sur nos tempes endolories dans cette ville de Yurimaguas, au nord-est du Pérou, à l'entrée de l'Amazonie, et nous fait tourner la tête. Dès notre arrivée, une nuée d'hommes tels des moucherons fous se jette sur nous, hurlant tout contre nos oreilles des destinations et des informations que nous ne comprenons pas … Nous ne savons plus précisément où nous sommes : sommes-nous parvenus à destination ou sommes-nous à une énième étape de notre long périple … peu importe … nous ne sommes plus très loin (pensons-nous alors à ce moment là, la suite nous dira le contraire !).
Nous arrivons tout droit de la douce torpeur des montagnes du sud de l'Équateur et le contraste est un peu violent après quelques nuits blanches passées à traverser des rizières qui reposent le long des routes, sous le pas lent de gigantesques vaches blanches et bossues, aux oreilles qui retombent … par moment je pense que je voyage en Inde, puis une femme crie en espagnol après son enfant et je reviens à la réalité …
Hôtel (pas trop miteux mais un peu cher). Douche (froide). Télévision (luxe !). Repos fragile (la chaleur est plus forte que le sommeil) … Matin sans café. Chaleur étouffante. Recherche d'un autre hôtel.
Nous rencontrons Miguel, par hasard, dans la rue. Nous avions rendez-vous avec lui quelques heures plus tard. Il ne faisait que nous demander l'heure. Il sera notre guide jusqu'à Lagunas, prochaine étape de notre entrée dans la Jungle !
Nouvel hôtel (de luxe) mais nous dormirons dans la cave, derrière la laverie, pour seulement 40 Nuevos Soles la nuit. Miguel nous accompagnera le lendemain vers Lagunas, petite ville à l'entrée de la réserve Pacaya Samiria . Mais pour y arriver il faudra naviguer durant 12 heures sur le fleuve Huallaga, qui part se jeter dans l'Amazone, seule voie d'accès vers notre destination.
La soirée avant notre départ me coûte une fièvre dont je me souviendrai toute ma vie. Je vous passe les détails macabres qui l'accompagnent, mais c'est en rampant, dégoulinant de sueur, sous le regard inquiet de Sandra que je rejoins mon lit. Le lendemain matin fera comme si rien ne s'était produit : je suis soulagé, je peux partir comme prévu …
Nous sommes dans le bateau à 10 heures du matin. Au pied de celui-ci la population s'affaire : il faut charger les poules, les grappes de bananes par milliers et le plus fastidieux de tout, les vaches qui dégagent un parfum qui nous suivra durant tout notre voyage. Les hommes crient, les vaches qui se battent pour ne pas rentrer meuglent à tue-tête, les coqs chantent, les moteurs vrombissent, les flots clapotent, les dauphins gris s'amusent … Le temps passe, interminable … si long temps.
Durant notre attente un homme d'une cinquantaine d'année, long et sec, le crâne rasé à blanc, les yeux si bleus qu'ils semblent blancs et portant une glacière au bras, comme ces nombreux enfants qui vendent des glaces maisons s'approche de nous :
- Glaces, jus de fruits, glaces, Marijuana, glaces, jus de fruits …
Je ne suis pas certain d'avoir bien compris mais ce n'est pas un problème pour ce grand monsieur filiforme qui s'approche de nous pour confirmer mes doutes :
- Salut les gringos ! Vous venez d'où ? Vous allez où ? J'ai de la marijuana pour vous, ou tout ce que vous voulez (cocaïne, meth…) ! Si ?!!
- Gracias senior, nous n'avons besoin de rien, répond doucement Guillaume dans son Espagnol de plus en plus fluide,
- Pas de problème les Gringos … bon voyage !
4 heures plus tard nous partons, au son des hauts parleurs hurlant la musique du Titanic (peu rassurant). Nos hamacs sont bien noués, nous pouvons profiter un peu d'un sublime coucher du soleil sur le large fleuve avant de nous endormir lentement, bercés par le grondement du bateau et le va-et-vient de notre lit suspendu, sous le regard bienveillant de marins efféminés, aux ongles vernis et aux sandales à paillettes.
Minuit : Miguel nous réveille, il faut sortir, nous sommes arrivés. Le bateau s'est amarré le long d'une fosse boueuse que nous devons enjamber pour retrouver la terre ferme. Nous pataugeons un peu jusqu'aux chauffeurs de moto-taxis qui vantent leurs mérites. Miguel négocie et nous partons dans une nuit sans lune et sans réverbère vers le lieu où nous passerons notre dernière nuit avant notre départ dans la Selva. Nous devinons dans l'obscurité, le long de la route chaotique, de petites maisons qui semblent faites de terre.Il frappe à la porte en bois de l'une d'entre elles où une dame au visage encore marqué par le sommeil nous accueille. Chambre sommaire, chien qui cogne à la porte toute la nuit en tentant de se débarrasser de ses parasites et de désinfecter ses plaies en se léchant bruyamment …
Le lendemain, après une longue heure en moto sur un chemin boueux nous atteignons enfin la rivière qui nous conduira au cœur de la forêt. Nous sommes suivis de Alberto, notre guide et Adith, notre cuisinière. Ils sont tellement serviables que je me crois revenu au temps de l'esclavage : on prend vite goût au dévouement des autres.
Nous grimpons dans ce qui sera notre mode de transport pour les 6 jours à venir : une pirogue creusée vulgairement à la machette au creux d'un tronc d'arbre. Nous chargeons sacs à dos, nourriture et eau potable avant de nous embarquer sur une rivière. Je regarde Adith qui laisse briller ses deux dents en or en me souriant. Je la trouve jolie. Alberto rit à pleine gorge à chaque fois qu'il en a l'occasion (mais souvent les occasions m'échappent).
Il rame Alberto ! La pirogue tangue au moindre mouvement et file au cours de l'eau qui s'étend à l'infini entre les arbres, les lianes et les nénuphars géants (réputés pour être les plus grandes fleurs du monde). De la verdure à perte de vue si bien que la vue ne peut que se perdre dans cette masse verte qui s'impose, qui domine, qui emplit l'espace, l'envahi, le dévore : seule l'eau rougeâtre apporte un peu de réconfort à l'œil saturé.
Des perroquets crient en nous passant par dessus la tête, des paresseux se reposent sur la cime des arbres, un serpent rose file se réfugier dans l'eau à notre passage. Nous glissons sous les racines d'un arbre, sur lesquelles se repose une énorme mygale, pour atteindre un passage sombre, entouré de gigantesques troncs dont les pieds baignent dans une eau rouge, afin d'atteindre un autre bras de la rivière. Nous retrouvons la lumière et quelques singes passent de branches en branches, remuant des milliers de feuilles qui s'entrechoquent dans un bruissement lourd. Mes yeux brillent, mon esprit ne sait plus très bien où il est, mon cœur bat au rythme des rames d'Alberto et la magie du lieu me fait un peu oublier l'humidité, la chaleur et les moustiques.
Le soir venu, nous arrivons dans une maison sur pilotis, fabriquée de bois et couverte d'un toit de feuilles de bananiers. Alberto achète quelques poissons aux pêcheurs dont l'eau et la forêt semblent être nos trottoirs et nos immeubles, qu'ils décapitent, écaillent, nettoient devant nous avant qu'Adith ne les enroule dans des feuilles de bananiers et ne les jette sur le feu : délicieux. Durant les jours qui suivront se sera notre petit-déjeuner, notre déjeuner et notre dîner accompagné de platanos frites (bananes non sucrées), de racines de Yuccas et de café.
La nuit se déroule presque aussi chaude que le jour, au son des cris des animaux noctambules : des grenouilles d'un mètre de circonférence croassent comme des castagnettes géantes, les grillons font un concours de chant, les oiseaux entament leur complainte incessante, un hurlement rauque et inhumain transperce la nuit et la forêt : « c'était un singe rouge ! » me dira Alberto le lendemain … Les rares sources lumineuses attirent des milliers de moucherons, moustiques et papillons en tous genres : les traverser équivaut à boire un café turque trop vite.
Nous repartons sur les flots, dans notre pirogue creusant l'eau rouge au rythme des pagaies, nos yeux tentant de percer l'amas de vert que la forêt semble vomir de toute part, pour y découvrir les incroyables animaux dont elle regorge. Le silence s'est installé sur notre embarcation, la musique des animaux diurnes à remplacé celle de ceux de la nuit, le singe rouge s'est tût pour laisser place à ses minuscules cousins qui apparaissent et disparaissent aussi vite, à chaque coin de rivière. Le rythme du temps n'est plus le même et je ne saurais dire le jour que nous sommes ni depuis combien de temps nous nous enfonçons dans cette forêt. En même temps que les journées semblent s'étirer interminables, elles paraissent passer comme un courant d'air. La verdure, la chaleur et le poisson donnent un peu la nausée et ma tête tourne.
Un soir que nous faisons escale sur un morceau de terre parvenant à sortir la tête de l'eau et nos possibilités de soins hygiéniques étant très limitées durant ces jours, nous décidons de nager dans la rivière, en compagnie des piranhas des tortues et des dauphins roses. C'est la fin de la journée et les crocodiles se réveillent doucement dans les fourrés environnants. Au loin, le cri atypique et strident d'une loutre brise le rythme régulier des sons auxquels nous commençons à nous habituer … L'eau n'est pas froide, presque tiède. La terre rouge la rend totalement opaque et malgré les propos rassurant d'Alberto sur l'appétit des terribles piranhas, nous ne sommes pas à l'aise. Nous nous jetons à l'eau néanmoins. Le besoin d'un peu d'hygiène et de fraicheur à raison de notre peur. Après quelques brassées timides, je sors rapidement de l'eau, dans laquelle des milliers de poissons minuscules s'affairent à me nettoyer, allant jusqu'à mordre mes tétons tendus par la fraicheur …
Un autre besoin primaire devait être contenté : je m'enfonce dans la forêt pour y trouver un peu d'intimité. La moiteur se fait plus intense, les moustiques et autres insectes invisibles se jettent sur ma chair tendre et se gorgent de mon sang frais mais mon besoin aura raison de tous les fléaux de la terre. J'arrive au bout d'un chemin boueux qui s'est sans doute formé par les vas-et-viens des quelques humains qui passent par là. Il s'achève sur un arbre si immense qu'il faudrait sans doute près de dix hommes se tenant la main pour en faire le tour. Je le contourne, enjambant les fougères et les hautes herbes et abaisse mon pantalon avec fièvre : l'obscurité commence à dévoiler ses mystères et ne me rassure pas. Trois moustiques en profitent pour m'aspirer un peu de sang sur chaque cuisse et sur les testicules (à moins qu'ils ne furent cent ?) et tandis que je m'affaire dans cette position inconfortable je perçois un bruissement dans les herbes. Je suis près à bondir pour cacher ma virilité à n'importe quel être vivant de cette forêt dense lorsqu'un petit homme d'environ un mètre vingt sort des herbes et s'approche de moi. Il est nu (ce qui nous met à égalité par la taille et la vêture), maigre, à de longs cheveux broussailleux, une petite barbe longue mais peu fournie et un long sexe qui pendouille nonchalamment. Il me regarde et me parle mais le son de sa voix ne me parvient pas. Je tente de bouger pour cacher ma petite intimité (comparé à celle de mon nouveau compagnon) mais ne peux pas bouger. Au loin le rire si caractéristique de Sandra me parvient …
- Désolé senior, je ne comprends pas, bégayai-je dans un espagnol plus qu'approximatif,
- Tu chies sur l'antre de l'esprit de la forêt me répond-il d'une petite voix déraillant qui ressemble à un savant mélange de tous les cris des animaux de la Selva, et lorsqu'il se tait je m'aperçois que la forêt elle aussi fait silence …
- Heu … balbutiai-je
- Ce grand arbre est le roi de la forêt et il est aussi ma demeure … Je m'appelle Dendue.
Dans un élan de colère je parviens à me relever et à enfiler mon pantalon et sans vraiment mesurer mon geste, me penche un peu en avant et le gifle. Sa tête ne bouge pas d'un cheveu et il me répond par une droite qu'il me plante dans l'œil. Tandis que je sens celui-ci se gonfler, ma tête vole en arrière, mais n'ayant pas l'intention d'en démordre je lui offre immédiatement un coup de pied entre les cuisses …
- Ouch ! Lâche-t-il dans un souffle,
- Oups, pardon …
Silence. Il se cramponne à son sexe sans bouger.
- Ce n'est rien jeune homme. Vous venez d'émasculer l'esprit de la forêt, le créateur de ses animaux, l'artisan de sa végétation, mais puisque vous vous êtes excusé, je vous pardonne d'avoir chier sur ma maison et vous offre le droit de vous nourrir de tout ce dont vous trouverez ici, à une condition : ne prenez jamais plus que ce dont vous avez besoin et vous ne manquerez jamais de rien.
Sur ces paroles il disparaît.
De retour à notre humble maison sur pilotis, constituée de quatre piquets de bois sur lesquels reposent un toit de feuilles de palmier et d'un plancher fragile, je vois Sandra et Guillaume assis sur le rebord, les yeux perdus dans la végétation qui passe progressivement du verre au noir, se détachant d'un ciel qui vire au rose. Je ne leur parle pas de ma mésaventure, certain qu'ils s'amuseraient trop longuement de moi à ce sujet et me contente de cueillir une orange sur l'arbre dont les branches tombent sur notre demeure d'une nuit.
Nous nous réveillons au petit matin, caressés par un petit vent frais, maigre répit dans ces lourdes journées. Le poisson frit d'Adith est déjà fumant et le café nous attend au centre de la « pièce ». Alberto nous dit qu'il est maintenant temps de rentrer. Nous voguons dorénavant à contre-courant. Un dauphin rose s'amuse à faire peur à Adith en nous suivant de près et cette dernière donne des coups de rame dans l'eau pour tenter de le faire fuir, sous notre regard amusé. Je pagaie à m'en faire exploser les épaules et les bras, à m'en faire transpirer comme jamais, me souvenant des paroles de Dendue et l'entendant parfois hurler au loin, dans la végétation compacte, dans une tentative d'autorité sur cette forêt qui, j'en suis certain, fait bien ce qu'elle veut depuis longtemps …
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Bateau Eduardo pour rejoindre Lagunas depuis Yurimaguas (25 NS, penser à acheter un hamac pour 25 NS)
Pas de banque à Lagunas