Comme toutes les méduses, Nemopilema nomurai, où méduse géante d’Echizen,appartient au groupe de cnidaires, comme les siphonophores dont nous avons déjà parlé ici. Elles dérivent grâce aux courants marins sur les côtes Est du Japon (et notamment la préfecture d’Echizen), qui sont touchées de façon récurrentes depuis 2004. En réalité le développement de ces monstres se déroule bien plus au sud, en mer de Chine au sud de la Corée.
"C'est l'Histoire de la vie, le cycle éternel..." En plus de déterminer son origine géographique un premier travail des biologistes fut de réaliser en laboratoire le cycle de vie de cette méduse, afin de bien comprendre son mode de reproduction. Première étape, on prélève les gonades de la méduse afin d’isoler des gamètes et de réaliser une fécondation in vitro (ovules des méduses femelles et spermatozoïdes des mâles - les sexes sont séparés). Première constat également lors de la capture, lorsque la méduse se sent menacée elle libère des milliards de spermatozoïdes ou d'ovule, ce qui contribue à sa prolifération. Une fois la fécondation réalisée on obtient une cellule œuf et rapidement une larve très simple appelée planula. C’est un petit disque de cellules ciliées qui va se poser sur un substrat pour former le stade suivant : que l’on nomme scyphistome. (C'est la phase "polype" commune à tous les cnidaires)
[ D- Cellule-œuf (zygote) issu de la fécondation avec globules polaires (a)
E- Larve planula, voir les cils en bordure (barre d’échelle : 30µm) ]
Ce scyphistome, ressemble quelque peu à une coupe, avec un pied fixé sur le substrat et des tentacules qui entourent une bouche. "Pied fixé" pas vraiment puisque le scyphistome se déplace régulièrement de quelques centimètres laissant à chaque fois une portion du pied : un podocystes. Ces podocystes sont remarquables car ils permettent une reproduction asexuée supplémentaire, chaque petit amas va en effet donner un nouveau scyphistome clone génétique du scyphistome initial (jusqu’à 18 podocystes !). Pour réaliser le potentiel de reproduction que cela représente imaginez qu'en marchant 18 pas, vous laissiez à chaque un clone de vous même... [ Podocystes (a) et Scyphistome "fondateur" (b) (barre d’échelle : 1mm) ]
L’étape suivant constitue une seconde phase de reproduction asexuée, avec la strobilisation, qui permet la formation de très petites méduses, dites « Ephyra ». Pour cela les chercheurs nippons en charge de cette étude ont augmenté la température de l’eau de 13 à 23°C, et là paf ! ça fait des
L’Ephyra qui est une méduse miniature va gagner en taille et en masse de façon exponentielle (le poids est multiplié par 10 en 50 jours !). Pour cela, il n’y a pas de secrets il faut nourrir la bête à grands renforts de plancton (ici des larves naupliennes d’Artemia) capturé par des batteries de nématocyste positionnés sur les tentacules de la méduse. Et voilà 3 à 4 mois plus tard, la méduse atteint la maturité sexuelle, et le cycle peut recommencer. Au final excepté la reproduction sexuée par podocyste, ce cycle est vraiment typique des cnidaires avec une alternance de phases fixes (polype) et de phase mobile (méduse).
[ A- Jeune méduse de 50 jours (barre d’échelle : 5cm) ]
Le cycle de vie de Nemopilema nomurai Mais pourquoi sont-elles aussi méchantes ? Une fois le cycle bien connu, il reste à identifier les causes de la prolifération, et comme souvent elles sont multiples : réchauffement exceptionnel des eaux (facilitant la strobilisation, mais aussi l’installation des méduses en mer du Japon, normalement trop froide), pollution de la mer de Chine (sur la côte Shanghai, les éléments nutritifs ne manquent pas pour les jeunes méduses), Surpêche réduisant la compétition et la prédation pour les méduses… C’est sûr, comme toujours, l’Homme est impliqué jusqu’au cou… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, toutes choses étant égales par ailleurs, les méduses pullulent un peu partout dans les mers du globe. Reste à savoir si cela va profiter aux prédateurs naturels des méduses: les tortues ? Ah, non attendez, on me fait signe que les tortues sont déjà occupées avec un invasion de sacs plastiques, qu'elle prendraient pour des méduses... dommage pour elles ! [ Les méduses plutôt gentilles dans "Ponyo sur la falaise" du maitre Hayao Miyazaki ] Quelles solutions alors ? Et bien tout d’abord, la méduse ça se mange, et pas que pour les tortues ! Et oui, en Chine notamment, mais elle n’est vraiment, vraiment pas réputée pour être un met des plus fins. Tango Jersey Dairy, une marque japonaise propose également une glace à la vanille, avec morceaux de méduses, délicieusement gélatineux, de quoi concurrencer Häagen-Dazs c’est certain! D’autres ont suggéré l’utilisation de la méduse comme engrais… Enfin certaines entreprises de cosmétiques envisagent d’extraire le collagène très abondant dans ses organismes : la crème anti-rides « medusa » bientôt dans vos rayons, parce que nous le valons bien !
De façon plus pratique, les pêcheurs ont commencé à utiliser des filets tranchants qui découpent les méduses, évitant ainsi au chalutier de devoir hisser leur masse sur le pont du bateau. Enfin solution radicale pour venir à bout des méduses qui peuvent venir obstruer les buses de captage d’eau alimentant les systèmes de refroidissement des centrales énergétiques : une préparation de prionase, une enzyme protéolytique permet de décomposer une méduse entière en 30 minutes ! Au passage cette enzyme remarquable permet également de d’inactiver les protéines "prions" responsables de la de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, d’où son nom. Voilà qui devrait permettre de limiter les problèmes gélatineux pour un temps, sans toutefois résoudre la cause ultime: notre propre pullulation ?
Pour tout savoir sur la méduse d’Echizen, un chouette documentaire est disponible en 3 parties de 15min sur DailyMotion sous le titre : « Invasion de méduses géantes au Japon ».
Sources :
Pour le cycle de vie : Unusual population explosion of the giant jellyfish Nemopilema nomurai (Scyphozoa: Rhizostomeae) in East Asian waters; Kawahara et al. 2006 (pdf ici)
Pour la prionase : Institute of microbial chemistry - Tokyo. Projet prionase : ici
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