John Scalzi, l'auteur très remarqué du Vieil homme et la guerre, a quant à lui opté pour une approche inverse. Dans sa propre version d'une rencontre humains / extra-terrestres ou la veine humoristique est ici aussi hautement revendiquée, c'est par la discrétion que les Yherajks – c'est leur nom – entendent bien entrer en contact avec les Terriens. Car après avoir capté capté les ondes radio et télévisuelles provenant de notre planète - autant d'informations parcellaires, contradictoires et, il faut bien le dire, déroutantes sur notre façon de vivre et de nous comporter - leur intérêt à notre égard a est allé en grandissant. Pour autant, la chose est loin d'être aisée, même si leurs intentions n'ont rien de belliqueuses. Car les Yherajks ne sont – comment dire ? - pas d'un abord très... enfin... bon, pour faire simple, disons qu'ils sont moches, très moches et qu'ils puent à un point inimaginable. Pour être approximatif, ils ressemblent à ces blobs gélatineux apparus dans les films d'horreur dans le but de distribuer leur dose de frisson aux spectateurs en quête de sensations fortes. C'est là en tout cas une raison suffisante, vous en conviendrez, pour qu'ils décident de passer par l'un des plus gros cabinets d'imprésarios d'Hollywood afin que le premier contact se fasse en douceur. Et c'est à Tom Stein, agent plein de ressources, de finesse et de bagoût qu'échoue cette mission des plus périlleuse et délicate.
John Scalzi n'a rien, mais alors vraiment rien à envier à un Fredric Brown ou un Douglas Adams pour ce qui est de faire rire. L'exercice est assez difficile en lui-même et John Scalzi a donc d'autant plus de mérite qu'il tient sur la longueur. Il y a en tout cas des indices qui ne trompent pas. Et j'avoue que ça faisait bien longtemps que de tels éclats d'hilarité n'avaient pas jailli ainsi au cours de mes lectures depuis bien longtemps... depuis les enquêtes de Mma Ramotswe si je me souviens bien.
- Tu dis ça, tu dis ça, y'a pas si longtemps je t'ai entendu dire que t'en lirais un par an, ça fait presque trois ans...
- Tiens, la petite voix, tu tombes bien toi.
- Ah bon ?
- Oui, figure-toi que Tom Stein, tu sais le héros de Imprésario du troisième type, eh bien il en a une lui aussi, de petite voix, mais il appelle ça un lutin. J'ai pensé à toi en le lisant.
- C'est bien, et alors ? Quel est le rapport ?
- Oh, il est tout vu. Si je ne me trompe pas, à un moment donné Tom Stein manifeste le désir de l'étouffer une bonne fois pour toutes. A moins que ce ne soit moi qui ait transposé mon envie dans le livre, je ne sais pas...
- Hé ho, moi je disais juste...
- Tu ne sais pas où est le coton par hasard ?
- ...
Désolé pour cette petite interruption, vraiment. Cela nous arrive de plus en plus souvent, vous l'aurez peut-être remarqué.
Où en étais-je ? Ah oui, l'aspect comique. Qu'il s'agisse des répliques entre Tom et le Yherajk, Joshua, dont il a la charge, des péripéties qui jalonnent forcément leur aventure, des comédiens ( il faut voir les comédiens !) et de leur entourage avec qui l'agent doit composer (et il faut voir de quelle manière !), ou même des journalistes en quête de scoop, le cocktail est détonnant. Qui plus est, John Sclazi n'hésite pas non plus à mettre du poil à gratter dans le dos du show-biz, de la presse, voire même de notre chère humanité.
« Mais ici, à Hollywood, on n'a pas l'habitude des hétéros cultivés. »
« Il semble que l'homme à la caméra démolie ait l'intention de rembourser la casse en s'appropriant tout ce qui lui paraît monnayable chez le preneur de son, ses lunettes, ses dents, sa chemise et même sa peau. Une paire de bonnes âmes essaient de les séparer tandis que le reste de la clique, prenant parti pour l'un ou pour l'autre, se lance dans une rixe géante. Je trouve assez jubilatoire de voir ces journalistes, probablement les plus incompétents et les mieux payés de Californie, s'empoigner par les cheveux, s'exploser les lèvres et s'aplatir les génitoires à coups de genou. »
« - Le temps c'est de l'argent. Voilà le leitmotiv des temps modernes. On essaie d'en perdre le moins possible.
-J'ai du mal à suivre cette forme de pensée, me confie Gwedif. Quand je retournerai sur Terree – pas pour un aller-retour express comme celui qui m'a permis de rencontrer Carl mais pour visiter réellement votre planète -, j'aimerais m'offrir un séjour dans un monastère. Là les hommes prennent le temps de vivre, de méditer, de se livrer à la contemplation.
- Ne vous faites pas trop d'illusions, Gwedif. Dans de nombreux monastères, la visite se termine par un passage à la boutique souvenirs où l'on peut acheter des cantiques gravés sur CD, du fromage, des vins et des objets religieux fabriqués en série. »
Et là où Sclazi est vraiment très fort, en plus de sa faculté à se renouveler, c'est qu'il ne bascule jamais dans un absurde débordant. Il donne à son univers une cohérence folle, lui permettant ainsi de faire preuve d'une authentique sensibilité aux moments clés de l'histoire.
Allez, ne traînez plus ! Les Yherajks vous attendent... Je vous souhaite en tout cas un aussi bon contact que le mien, et surtout ne vous étonnez pas si dans le train, à la sécu, à la préfecture où bien ailleurs, on vous regarde bizarrement après un gros éclat de rire. Au mieux on vous demandera ce que vous lisez...
Pardon ? Pour trouver les Yherajks ? Oh, rien de plus simple, laissez votre flair agir.
Imprésario du troisième type, John Scalzi, traduit de l'anglais par René Baldy, L'Atalante (La Dentelle du cygne), 411 p.