Je pense que je suis surtout revenu à ce que j’aimais.
Comme tout le monde faisait de la musique dite « moderne », moi je voulais faire de la musique plutôt swing, mélodique, finalement à l’époque c’était ça faire du rock. J’étais en opposition par rapport aux autres gens de mon age qui faisaient de la musique « tendance », de la musique actuelle. Donc à l’époque quand j’ai fait du rock, du trip-hop j’avais toujours ce que je fais aujourd’hui en moi, sauf que je lui avais donné une forme qui était forcément différente parce que je jouais avec des gens qui écoutaient du funk, de la fusion, du rap, que sais-je encore…
Du coup aujourd’hui ce que je fais, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Mais bon comme mes influences ne sont pas que jazz, loin de là, le jazz que je fais est aussi très influencé de rock.
Peut-être que c’est mon esprit de contradiction, c’est à dire que je me plains de ne pas faire partie d’une famille musicale mais j’ai aussi tendance à faire systématiquement le contraire de ce qui ce fait ou en tout cas ce que les gens attendent ou de ce qui est bien de faire.
C’est un peu comme si vous aviez envie de faire du jazz, mais que vous avez un peu attendu avant de l’assumer ?
Surtout de trouver les bonnes personnes pour le faire.
Le jazz que j’aime c’est le jazz du début. Parce qu’aujourd’hui le jazz ça n’a quand même plus grand chose à voir avec ce qu’il était au départ. Le jazz au départ c’est quand même, pour faire simple, la rencontre des bluesmen noirs avec les compositeurs plutôt d’origine juive d’Europe de l’Est. Ce sont ces deux influences qui se sont mélangées, plus d’autres trucs forcément. C’est ça le truc merveilleux aux Etats-Unis, c’est ce creuset complètement invraisemblable.
Donc le jazz que j’ai toujours aimé, et celui que je fais aujourd’hui c’est le jazz des années 30. Ce que j’aime c’est la musique américaine de la première moitié du 20ème siècle.
En même temps j’adore plein de groupes des années 90. Parce qu’après, je ne suis pas sûr que les années 2000 aient apporté grand chose à la musique.
Je ne me situe pas dans des chapelles, je dis juste que la musique que j’aime c’est la musique américaine jusque dans les années 50, après j’aime la musique anglaise à partir des années 60, pour faire simple, et après, dans les années 90 j’ai aimé plutôt des groupes américains.
Je pense que ce sont ces deux pays qui se tirent la bourre. Je pense tout de même que la musique du 20ème siècle elle est anglosaxone, elle est américaine et anglaise.
C’est cette musique là qui m’intéresse. Le mélange invraisemblable de jazz, de blues, de gospel, de country de rock qu’ont proposé les américains. C’est ce qui continue de nourrir tout le monde sur la planète aujourd’hui. Toute la musique des pays occidentaux. Il y a bien sûr par ailleurs la musique indienne, la musique au Brésil, en Afrique…
Moi j’aime tout ! J’aime toutes ces musiques là. J’ai approfondi mes connaissances de la musique que j’appelle des « songs writers » américains des années 30 qui ont écrit toutes les comédies musicales qu’on connaît. Que ce soit celles jouaient à Brodway ou dans les films avec Fred Astaire et Gene Kelly. Tous ces compositeurs là, sont, à mon avis, ce qui c’est fait de mieux. Derrière, même si je pense que les Beatles sont des songs-writers absolument merveilleux, comme par hasard, ils sont aussi influencés de Gershwin, Cole Porter, Berlin, Jerome Kern, que sais-je encore…
Votre album Frizzante ! a eu un très bon accueil, parce qu’il était lumineux, joyeux. C’est une touche dans le jazz qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer ?
Une fois de plus, ce n’est pas pour me déprécier que je dis cela, mais j’invente rien. Je pense quand même proposer quelque chose d’actuel, dans ma façon d’interpréter, de jouer. Mais j’invente rien dans le sens où, mes références elles sont des années 30 aux années 50.
Il faut voir comme les gens jouaient cette musique à l’époque. Ils avaient la banane, ils étaient à fond, ils se marraient. C’était du spectacle. Et les gens d’ailleurs allaient au spectacle. Les gens étaient contents d’aller voir les “musicals” à Broadway ou à Los Angeles.
C’est ça ma référence.
On a un peu oublié que le jazz au départ c’était juste des jolies mélodies et un truc pour amuser les gens et que les gens dansent. Parce qu’en plus à l’époque, la danse était vachement importante. Les gens dansaient à deux, les gens dansaient en couple. Aujourd’hui les gens dansent tout seul sur de la techno. Une fois de plus je caricature un peu, mais on est devenu très individualiste, très centré sur soi-même.
Et je ne pense pas que cela date juste de 4-5 ans avec la crise. Je pense que cela fait déjà un moment qu’on a oublié que le jazz c’était ça.
La convivialité ?
Oui.
On voit bien qu’il y a des gens qui redécouvrent ça ou même le découvrent tout court. Puisque je sais qu’il y a des jeunes qui ont acheté Frizzante! et qu’il y a un public plus jeune qui vient m’écouter en concert. C’est ça qui m’avait assez plu.
Après je me rends compte que ça dépend aussi beaucoup de l’endroit. Si vous allez dans des endroits où la communication est faite autour du mot « jazz », vous vous retrouvez avec un public qui va écouter du jazz, le public qu’on connaît depuis 30 ans. C’est donc des gens de plus de 40 ans.
En revanche à Paris, ou à Montréal ou dans les endroits où il y a un coté plus dynamique, plus hype, où l’on va vendre ça plus à la façon des anglo-saxons, c’est à dire à la façon dont ils ont vendu les Bubblé et compagnie, donc là forcément ça va toucher un public plus jeune. C’est ça qui m’intéresse.
Pas que le public plus âgé ne m’intéresse pas, mais je pense vraiment que cette musique là, et c’est commercialement aussi mon intérêt, ça doit toucher tout le monde.
Matthieu Boré - Puttin’ on The Ritz
Vous sortez aujourd’hui un album Live au Duc Des Lombards, est-ce Frizzante! en live ?
Mon répertoire il est autour de Frizzante! et de l’album précédent Sometimes On My Own, forcément ce sont les chansons des années 30, les standards. Mais c’est vrai qu’en live, et c’est pourquoi je suis très content d’avoir fait ce disque, j’ai pu donner justement ce coté rock’n roll, ce coté encore plus « entertainer » qui forcément ne se voit pas sur le disque studio.
Dans les disques studio on est souvent assez empruntés, on est toujours dans une recherche du beau à tout prix. Ce qui est bien ! Mais c’est vrai qu’en live, on n’y met pas la même chose.
Donc là j’ai pu, et je suis assez content du résultat, vraiment donner ce coté très brut, très porté sur l’énergie, qui pour moi est fondamental, le truc le plus important en live. Sans oublier les jolies chansons. En concert les gens sont contents d’entendre des jolies chansons, mais vraiment l’énergie et le coté plus rock’n roll c’est vraiment super important. Je suis vraiment très content de montrer ce coté là.
Justement je trouve que votre musique est un jazz qui s’ouvre aux autres, plus instantané?
Mes références étant les Beatles, Elvis Costello, les Beach Boys, des gens qui savaient écrire des chansons c’est sûr que du coup, mon approche du jazz c’est celle là, je chante des chansons.
En revanche sur scène il faut que ce soit la fête. Là mes références sont beaucoup plus modernes. Ce sont des groupes des années 90s, c’est Fishbone, la Mano Negra, même si je pense que la Mano Négra n’écrivait pas de grandes chansons, en revanche sur scène c’était la folie pendant 2-3 heures. Pour moi c’est ça le concert.
Pour l’enregistrement de l’album live vous aviez une préparation spécifique ?
Non, c’était un concert comme un autre parce que de tout façon ça reste un club et puis c’est dans la continuité d’autres concerts. Même si les tournées c’est plus ce que c’était, on est dans une logique de concerts. Il y a des répétitions, on travaille, on réfléchit.
Là, au Duc Des Lombards, je savais quand même que c’était quelque chose qui allait être enregistré, l’idée n’était pas de partir dans un délire de 20 minutes sur chaque morceau.
Même si l’idée c’est de rendre l’esprit du live on ne peut pas non plus faire n’importe quoi, il y a quand même des formats. Quand on parle de format, ce n’est pas juste formatage, il faut quand les gens écoutent le disque qu’il se passe quelque chose. Il ne faut pas que les gens se disent pendant un quart d’heure « c’est bien gentil mais là c’est un délire de live » . Quand Hendrix le fait c’est très bien mais tout le monde n’est pas Hendrix.
Matthieu Boré - Satisfy My Soul
Vous étiez en quartet ?
Il y avait Stephen Harrison qui est le contrebassiste, Jean-Marc Labbé qui est au saxophone baryton et Simon Boyer à la batterie. C’est la formule que j’ai mis un peu de temps à la mettre en place. Maintenant c’est la formule sur laquelle je suis.
La grosse inconnue portait surtout sur l’instrument soliste. J’ai fait ce choix il y a presque un an, de prendre un saxe baryton. C’était ce que je trouvais de plus moderne parmi tous les instruments avec lesquels j’avais joués.
Je ne voulais pas prendre de guitare, parce que la guitare me ramenait trop vers le rock. Par ailleurs, j’ai un autre répertoire avec lequel je joue avec une guitare électrique, donc je ne laisse pas tomber cette idée. Mais je voulais quand même garder ce coté chaleureux du soufflant du cuivre et puis cela a une connotation forcément plus jazz avec le saxophone.
Le baryton c’est un instrument que j’adore, c’est comme le violoncelle. C’était pour moi beaucoup plus moderne et ça permettait d’apporter de l’épaisseur au son. Ce dont j’avais besoin, le saxe baryton était vraiment l’instrument idéal.
En plus il joue très rythmique, il est vraiment dans le son. C’était vraiment important pour moi. Je voulais vraiment donner du punch à la musique en concert. Pour moi c’était le seul instrument qui pouvait apporter ça.
En plus j’ai une référence de groupe des années 90 qui s’appelait Morphine, un trio qui jouait basse à deux cordes, saxe baryton et batterie. C’était du rock, mais on sentait une influence jazz dans leur musique. C’est un groupe qui m’a beaucoup marqué, et beaucoup plu. Donc forcément l’idée du baryton me vient aussi un peu de ce groupe là.
Clairement car j’ai aussi travaillé avec The Gnu Quartet que le label vient de signer. Ils étaient sur le dernier titre de Frizzante!, ma composition Thank You Girl. Ils m’accompagnent sur ce titre, et j’ai fait une résidence avec eux. On a fait des concerts en Italie l’été dernier. Ce sont des gens avec qui je serai amené à retravailler.
En plus j’ai découvert chez les musiciens italiens un amour de la musique et un professionnalisme que je rencontre rarement en France. J’adorais l’Italie comme pays avant, mais là du coup j’ai découvert les musiciens, ça a vraiment été un grand choc pour moi.
Je crois que le seul, je ne sais pas si c’est un bémol, mais chez les musiciens italiens quand je joue avec eux, je peux développer mon coté classique, mon amour pour la musique classique. Ce qui est bien normal parce que pour eux Vivaldi, Verdi c’est juste normal. Comme nous on a Jean-Jacques Goldman, eux ils ont Verdi et Vivaldi. Ça situe bien la différence. Parce que je pense que Boulez et Bizet étaient plus intellos.
Quand je joue avec eux c’est ce coté là que je vais développer de ma personnalité, le coté classique que j’adore. Le truc c’est que ça m’emmène ailleurs. Je dois dire que ce que je fais naturellement sur scène c’est un coté plus rock’n roll, plus américain, le rythm’n blues des années 50, ce coté très roots et très primal.
Ce n’est pas que je me méfie, mais quand je vais jouer avec des musiciens italiens ça va m’emmener sur une pente qui malheureusement, commercialement, va brouiller les pistes. Si ça ne tenait qu’à moi je le ferais. Mais du coup est-ce que ça ne va pas me couper de la base qu’on est en train de créer. Du public qui est là juste pour s’amuser et écouter de la musique joyeuse. Pas que de jouer avec les italiens et de faire une musique plus classique ce soit plus triste mais c’est forcément un autre son. Un quatuor à corde c’est forcément un autre son qu’une contrebasse qui slappe, qu’un saxe baryton qui beugle.
Thank You Girl - Matthieu Boré & The GNU Quartet
Là vous retournez au Duc des Lombards, qu’allez-vous jouer?
Je ne sais même pas ce que je vais jouer. Il y aura forcément une bonne partie des morceaux du disque. Mais je ne sais jamais ce que je joue parce que d’un concert sur l’autre, je suis toujours dans une logique de qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui n’a pas marché, qu’est-ce qu’on peut faire de mieux, et comme je travaille toujours sur des nouveaux morceaux… Puis il y a des morceaux, pas que je m’en lasse, mais je me dis « ce n’est pas si bien que ça » donc je les laisse tomber, puis je les rejoue 3 mois, 6 mois après.
Vous adaptez les chansons en fonction du public, de sa réaction ?
Oui, ce sont des choses qui se font vraiment sur l’instant. En fonction de la réaction du public, oui, il se passe des choses.
Sans rentrer dans la cuisine interne, il y a clairement des morceaux qui sont des « chansons ». Les chansons sont de petites histoires, donc vous êtes là pour raconter une histoire, amusante, triste, nostalgique. C’est une chanson donc les gens vont être touchés par une mélodie et par un texte pour ceux qui comprennent ou pour ceux qui connaissent la chanson.
Et après ils y a les morceaux que je qualifie de « morceau de scène », les morceaux où là « tout peut se passer » entre guillemets car on a des repères et il faut qu’on arrive à finir ensemble, c’est quand même ça qui est important (rire). Ce sont ces morceaux là qui sont super en concert. Il peut se passer plein de choses, parce que justement le public va réagir de façon différente, les musiciens ne vont pas jouer toujours la même chose.
En concert, ce qui m’intéresse ce sont les deux aspects, c’est le coté à la fois cadré qu’on va retrouver dans les concerts plus rock, mais aussi l’ouverture quand il peut se passer des choses.
C’est assez propre au jazz non ?
C’est très amusant quand vous discutez avec des musiciens de blues, mais même dans des groupes de rock comme The Do, de voir que leur approche est complètement jazz. Ils partent sur un truc et après ça ouvre complètement. Ces gens ils font du jazz !
Mots-clefs : Matthieu Boré
|