Hey Doc, vous allez bien?
-Très bien, merci. Et toi?
-Euh, de longues journées depuis jeudi. Sommeil.
-Sommeil? Mais encore?
-Pas plus de trois heures par nuit. Alors de très longues journées, et nuits.
-Et pourquoi ce manque de sommeil?
-Je ne sais pas, je pense à un truc, trente-six autres s'enchaînent, et ça n'en finit pas. Et la douleur qui se rappelle à moi. La douleur empêche de dormir, le manque de sommeil accentue la douleur, c'est génial.
-De la codéine?
-Non, hors de question de replonger dans cette merde.
-Et comment te situes-tu par rapport à l'alcool?
-Ça va, finalement, ce n'était pas si compliqué que ça. Pas plus dur que la codéine. Il y a bien certain soir où ça me manque, mais pareil, par orgueil, hors de question de replonger, j'ai trop de choses à prouver.
-Je dirai plutôt que c'est de l'amour propre, et c'est bien.
-Si vous le dites.
-Et donc, comment vas-tu?
-Je ne sais pas vraiment.
-Allons.
-Seul, plus désabusé que jamais, sans but, sans rien. Ça vous va?
-Pourquoi seul?
-Je ne sais pas, je suis allé au cinéma l'autre jour, seul. J'ai trouvé ça d'une tristesse. Alors qu'auparavant, il y a plusieurs années, ça ne me dérangeait pas plus que ça, au contraire. Et puis, tout le reste?
-Je croyais que tu avais un but, récupérer ton amie.
-Oui, mais ma tendance à me montrer très con prend le dessus quelques fois, moins qu'avant, mais ça arrive encore. Et sans retour, qu'est-ce que vous voulez y faire?
-Seul donc.
-Oui, plus de parents, plus d'amis, plus personne. C'est finalement assez douloureux, contrairement à ce dont j'étais convaincu auparavant. Mon père fait ses petits repaires la nuit pour voir si je ne sors pas me cuiter, ça a tendance à me gonfler. Et puis, pour tout le monde, du moins c'est le sentiment que j'ai, je ne suis qu'un futur chômeur-ivrogne, bon à rien. Alors vos histoires d'empathie, pour le moment, je m'assieds un peu dessus. Et puis, forcément, je suis la honte de la famille avec ce que je fais. Retour de Karma, je suppose.
-La honte de la famille?
-Oui, c'est comme ça que je le ressens, qu'on me le fait comprendre. Enfin, j'assume ce que j'ai fait. Simplement, je n'avais pas l'intention de faire du mal à qui que ce soit, simplement me soulager, enfin voilà.
Deux minutes de silence.
Je les emmerde de toutes façons. Je sais ce que je vaut. Après, il est vrai que j'ai tout à prouver, mais depuis un mois et demi, je m'en sors déjà pas trop mal.
-Comment ça?
-J'ai arrêté l'alcool, me suis remis à écrire de façon régulière, je cherche du boulot, je travaille mes cours. J'espère pouvoir rire le dernier, et leurs montrer à tous.
-Et sentimentalement?
-Comment ça, sentimentalement?
-Et bien, sentimentalement, il n'y a rien de plus à ajouter.
-Je vous l'ai dit, par orgueil, cette volonté de montrer ce que je pense valoir, surtout intellectuellement parlant.
-Ce n'est pas sentimental ça.
-Et?
-D'une manière ou d'une autre tu parviens à te refermer sur toi-même.
-Je n'ai pas vraiment le choix, là. Pour le moment, je m'occupe surtout de remettre à flot une situation personnelle et générale que j'ai mise en échec ces deux dernières années. Je suis bien décidé à avoir ma licence de lettres, ce qui bien sûr, n'aura pas vraiment de mérite. Et après, dossier de Master un peu partout. Se casser de cette ville de merde.
-C'est si important de partir?
-C'est triste à dire, mais à part vous, plus rien ne me retient ici.
-Pourquoi autant de pessimisme sur ce point?
-Parce que rien ne me prouve le contraire. De quelque manière que ce soit, ce que j'ai fait me reviendra toujours en pleine gueule. Ce peut-être justifié, évidemment, mais je me métamorphose. Alors autant allez conquérir une autre ville, pas changer d'identité, mais presque.
-Toujours cette culpabilité.
-Il y a de quoi, en même temps.
-C'est toi qui le dis.
-J'en ai les preuves.
-On va s'arrêter là pour aujourd'hui.
-Evidemment, tenez.
Chèque, carte vitale, etc.
"Combien de temps va durer toute cette merde, cette attente sans fin, cette tension intérieure.
-Impossible de le dire, on en parlera la prochaine fois.