Monsters

Par Ledinobleu

Une sonde de la NASA s’écrase dans la jungle mexicaine, libérant sur terre des particules d’une forme de vie extra-terrestre. Six ans plus tard, le Mexique et le Costa-Rica sont devenus des zones de guerre désertées par les populations locales, mises en quarantaine et peuplées de créatures monstrueuses. Un photographe est chargé d’escorter une jeune femme à travers cette zone dévastée. Seuls sur la route, ils vont tenter de rejoindre la frontière américaine…

Les films de monstres s’articulent dans l’écrasante majorité des cas autour des mêmes clichés : une créature apparaît dans une zone habitée où il provoque un carnage à grand coups d’effets spéciaux et pyrotechniques jusqu’à ce que la cavalerie arrive et abatte enfin la créature surgie du fond des âges ou bien de l’univers. Inutile de citer des titres. Parfois, le monstre n’est pas seul mais accompagné de quelques autres congénères en une variation somme toute bien mineure. Bref, ce genre se caractérise par une stérilité totale tant sur le plan des idées – soit un niveau problématique inexistant – que sur celui des émotions – c’est-à-dire d’un intérêt cinématographique nul. Pour faire court : en voir un, c’est les voir tous…

Mais alors que ce genre semblait enfermé pour toujours dans la redite permanente, ses aficionados – ainsi que des spectateurs moins habitués – eurent l’assez bonne surprise de voir arriver un certain Cloverfield (Matt Reeves ; 2008) : s’il n’inventait rien, celui-ci présentait au moins l’avantage d’une réalisation moins conventionnelle, bien que pas vraiment innovante (1), tout en focalisant son récit sur les relations entre les personnages au lieu des effets spéciaux et de l’action pure. Hélas, les protagonistes principaux de l’histoire étant de simples jeunes gens sans réel passé ni problèmes concrets, la portée émotionnelle de cette production s’avérait vite assez limitée. Il reste néanmoins un film plaisant et dont l’originalité de l’approche lui permet de sortir du lot.

Pour Monsters, son premier film dont il signe aussi le scénario, Gareth Edwards adopte une approche assez comparable dans le sens où il focalise son récit sur les personnages au lieu des monstres et des effets pyrotechniques – ces derniers s’avèrent d’ailleurs presque absents alors que les autres se montrent à peine. Ici en effet, les monstres sont apparus il y a déjà plusieurs années et font désormais partie du paysage : si la population les craint toujours, elle a malgré tout appris à vivre avec – en quelque sorte du moins. À vrai dire, d’ailleurs, les interventions militaires des autorités locales font plus de tort aux civils que les extraterrestres… C’est la problématique bien actuelle des réfugiés en zone de guerre : quitter sa terre écorchée ou bien tenter sa chance.

Mais Edwards utilise aussi le prétexte d’un film de monstres pour réaliser une sorte de road movie où les deux protagonistes apprennent à se découvrir l’un l’autre. Si leur odyssée à travers la « Zone Infectée » évoque en surface la situation de ressortissants étrangers piégés dans une zone en conflit, leur périple s’affirme en réalité surtout intérieur : pendant cette coupure avec leur quotidien somme toute affligeant de banalité, ils réalisent que ce qui les attend chez eux ne convient en fait pas du tout à leurs aspirations – au point parfois de vouloir tout abandonner, voire de souhaiter presque retourner sur leurs pas… C’est l’autre facette de la pièce évoquée dans le paragraphe précédent, celle des habitants des pays industrialisés qui s’ennuient dans leur confort.

Film intimiste donc, soit un choix pour le moins surprenant compte tenu du (mauvais) genre dont se réclame cette production, Monsters s’avère assez intéressant par un certain aspect expérimental où les créatures, en fin de compte, servent juste de prétexte pour illustrer la réalité de certains habitants de pays défavorisés comme pour justifier une évolution psychologique chez les protagonistes principaux. Si on ne se trouve pas loin du film d’auteur, il aurait tout de même fallu un récit plus abouti sur au moins un des thèmes abordés pour que cette réalisation mérite vraiment un tel titre. Il reste malgré tout un film solide et original dans sa facture, qui déroutera peut-être ceux que son titre aura induit en erreur : pour amateurs de curiosités donc.

(1) il me semble que Le Projet Blair Witch (The Blair Witch Project ; Daniel Myrick & Eduardo Sánchez, 1999) en a la paternité, mais je peux me tromper…

Récompenses :

- BIFA : Meilleur Réalisateur et Meilleure performance technique.
- AFCA : Meilleur premier film (Gareth Edwards).
- NBRA : Meilleur film indépendant.

Notes :

L’équipe de tournage, comédiens et réalisateur compris, ne comptait que sept personnes : hormis pour ceux incarnant les deux personnages principaux, tous les acteurs furent recrutés sur place juste avant de tourner leur scène ; pour cette raison, il n’y avait aucun scénario précis mais juste des indications générales pour chaque scène principale. De même, aucune autorisation de tournage ne fut demandée à aucune administration que ce soit : tous les lieux de prises de vue, au Mexique, au Guatemala et au Costa Rica, ainsi qu’au Texas, furent utilisés sans le consentement des autorités locales. Enfin, Edwards conçut et réalisa tous les effets spéciaux lui-même, à l’aide des logiciels ZBrush et 3D Studio Max.

Monsters, Gareth Edwards, 2010
M6 Vidéo, 2011
94 minutes, env. 16 €

- sites officiels : Vertigo Films, Magnet Releasing
- d’autres avis : ToutLeCiné, Gabzz, La Cinémathèque de Phil Siné