La première fois que j’ai entendu la musique de Moondog (en 1990) j’ai tout de suite été séduite.
Elle ne ressemblait à aucune autre et j’ai été déconcertée par la singularité de son style. J’ai eu envie de me plonger dans l’univers de ce compositeur et je ne l’ai plus quitté.
Des amis musiciens m’ont conseillé de contacter Jean-Jacques Lemêtre afin d’obtenir des partitions. (Jean-Jacques Lemêtre avait été le premier à diriger des œuvres de Moondog en France – Maison de la Radio en 1982).
Les premières œuvres que j’ai travaillées furent “Jazz Book for little hands”, le “Prélude et Fugue en la mineur”, “Elf Dance”, “Santa Fé”, “Carnival”, “Fiesta” et, sans repère de style, déroutée par le caractère de ces pièces, je m’engageais dans une voix nouvelle et une approche très différente du répertoire classique pour piano.
Après une année d’explorations, j’ai décidé de contacter Moondog et de lui envoyer un premier enregistrement. A mon grand étonnement, il a apprécié mes interprétations et m’a immédiatement proposé un premier concert avec lui en Allemagne.
Je garde bien sûr un immense souvenir de ma première rencontre avec Louis, son physique incroyable, sa grande douceur, sa simplicité, sa gentillesse, et son caractère enjoué. Je me suis tout de suite sentie en confiance. Il avait une manière très concentrée de m’écouter lors de nos répétitions, rien ne lui échappait. Si une pédale ou une nuance ne lui convenait pas, il s’asseyait au piano près de moi pour me montrer ce qu’il souhaitait. Nous jouions et tout se passait dans la bonne humeur. Un jour, il déclara que notre duo s’appellerait « D.M.D. » (Dominique Moondog Duo)
Après les concerts nous commentions chaque pièce et pointions les imperfections….
La difficulté d’exécution de sa musique pour piano nécessite bien sûr une parfaite maîtrise rythmique. La courte durée de certaines pièces et l’écriture tellement minimale exige clarté et netteté, de même que dans les canons une séreuse indépendance est nécessaire à cause des superpositions rythmiques et de la précision des ornementations.
Entre notre première rencontre et notre dernier concert (Arles, Mimi 1er août 1999) je ne garde que de précieux souvenirs musicaux et amicaux. En particulier lors du Festival de Montreux (carte blanche à Stephan Eicher) pour lequel Louis composa quelques jours avant « Mood Montreux », sonate en 3 mouvements. Nous étions bien petits sur cette grande scène devant 3000 personnes…
Notre duo s’est produit entre autres à Stuttgart, à Dortmund, mais surtout à Bielefeld le 26 Mai 1996 ou nous avons fêté ses 80 ans en compagnie de nombreux musiciens, tous honorés de jouer pour lui. Et puis Il y a eu des rencontres artistiques diverses, en particulier celle de son fidèle ami peintre Ernst Fuchs qui aimait nous programmer à l’occasion de ses expositions.
C’est à partir de Montreux que la santé de Louis s’est affaiblie. Juste avant de jouer, un médecin est venu dans la loge, décidé à l’hospitaliser, mais Louis a voulu que nous jouions malgré tout ! Puis à Arles, la chaleur et l’heure tardive de notre programmation (concert de clôture du festival) a aussi été éprouvante pour lui. Durant le concert, sans doute fatigué, il a modéré ses efforts. Je n’oublierai jamais le moment magique de notre interprétation du sublime canon (n°9 book 5) dans les arènes étoilées avec au loin le klaxon de cette ambulance prémonitoire…! Mais j’étais loin d’imaginer que quelques semaines plus tard j’apprendrais sa disparition. Je pense souvent à lui.
Dominique Ponty