Le difficile parcours des couples infertiles

Par Kakrine
J'ai été très touchée par cet article de LaCroix. Rarement,  j'ai lu un article sur le sujet aussi juste et aussi proche de ce que j'ai pu ressentir ou vivre tout au long des différentes étapes de notre parcours. Pourtant, j'en ai lu un certain nombre ! 
J'ai notamment trouvé très lucides les remarques de Isabelle Tilmant, psychothérapeute, ainsi que celles de Joëlle Desjardins-Simon, pschanalyste en PMA, que je ne connaissais pas, et dont j'ai découvert qu'elles avaient écrit plusieurs bouquins sur le sujet (ici et là). Je vais peut-être me plonger dans ces lectures... les connaissez-vous? Si oui, votre avis m'intéresse!

Je crois que ce que j'ai trouvé juste dans cet article est la reconnaissance de la  difficulté du parcours, de la souffrance qu'il engendre, et de la persistance de celle-ci au fil du temps : « Ce n’est pas seulement d’un désir d’enfant qu’il faut faire le deuil, mais aussi de tout l’investissement, de tous les rêves faits autour de cet enfant. Cela prend beaucoup, beaucoup de temps, des vagues de douleur reviennent régulièrement, donnant l’impression décourageante de régression. Mais accepter ce processus de deuil, avec toutes les émotions violentes qu’il soulève, permet de le dépasser.» 
Je trouve particulièrement justes ces "vagues de douleur qui reviennent régulièrement", surtout, et en général, quand on s'y attend le moins, très soudainement,  comme une espèce de bouffée d'angoisse ou de tristesse qui prend tout d'un coup... à cause d'une expression, d'une remarque, ou encore du regard ou des mots d'un enfant...et on se reprend en une seconde tout son parcours en pleine figure.

PS: je reproduis l'article entier ici, craignant que le lien ne disparaisse à un moment donné... car je tiens à conserver cet article!!



Pour un couple, l’infertilité et l’absence d’enfants sont une épreuve, un deuil à vivre, avant de pouvoir le transformer en d’autres formes de fécondité

" Et vous avez des enfants?» Cette question banale, qui sert souvent d’entrée en matière à la conversation, dans les rencontres amicales, est «la» bête noire de ceux qui n’en ont pas. Pas seulement pour ceux qui vivent une vaine attente, mais aussi pour ceux qui doivent à chaque fois sec justifier de leur vie, de leurs choix, ou de leurs échecs. Et se taisent le plus souvent. Ce serait donc le revers de notre société française, qui affiche avec fierté une fécondité de deux enfants par femme, parmi les records d’Europe. Stigmatisant du même coup les quelque 10% d’adultes qui ne seront jamais parents; leur donnant l’impression d’être marginalisés, considérés comme des adultes inaccomplis. Selon Laurent Toulemon, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), ce chiffre devrait même atteindre 15 à 16% de la génération née en 1980.Quelle est la part, parmi ces couples inféconds, de ceux qui sont physiologiquement stériles, de ceux pour qui la vie ne s’est pas ordonnée de la bonne façon au bon moment, et de ceux qui affirment ne pas vouloir d’enfants, catégorie nouvelle apparue dans nos sociétés contemporaines ? Il n’existe pas de chiffres, et pour cause : «La frontière est très floue entre le désir d’enfant et celui de se conformer à la norme sociale ; entre le désir conscient et tout ce qu’il réveille dans l’inconscient, en particulier dans les relations précoces avec ses propres parents», souligne Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et spécialiste des questions de filiation. 

« ON EST DANS UNE CONCEPTION TRÈS MÉCANISTE DE LA PROCRÉATION»

Et elle ajoute: « On est aujourd’hui dans une conception très mécaniste de la procréation, les femmes prennent la décision de ne pas avoir d’enfants grâce à la contraception. Lorsqu’elles “ouvrent le robinet”, elles s’attendent à ce que cela marche. Or, mettre au monde un enfant, c’est un acte de folie ordinaire qui est tout sauf rationnel !»Joëlle Desjardins-Simon, psychanalyste également, qui travaille depuis quinze ans dans un service d’AMP (assistance médicale à la procréation) et vient d’écrire un livre sur le sujet, constate elle aussi que la fécondité échappe encore et toujours à la maîtrise humaine.«On ne sait pas pourquoi certaines grossesses surgissent, dit-elle, ou s’interrompent, ou bien, malgré un désir affiché, ne se produisent pas. De nombreuses infécondités, à la croisée de l’histoire conjuguée du couple, et parfois aussi de plusieurs générations, relèvent de verrous inconscients ; lorsqu’il y a écart entre le désir conscient et inconscient, c’est toujours ce dernier qui gagne.» Elle dénonce aussi cette « médiatisation radieuse de la procréation assistée, qui induit que c’est la réponse à tous les problèmes». Et de rappeler que les taux de réussite varient autour de 20% par tentative. «Si un enfant ne vient pas tout seul, c’est qu’il ne veut pas venir ; à quoi bon se violenter, le violenter…»

« NOTRE SOCIÉTÉ IDÉALISE BEAUCOUP LA MATERNITÉ » 

Reste la souffrance, que les hommes et les femmes décrivent de façon différente. « Une forte souffrance », précisent sobrement Béatrice et Antoine. «N’importe qui peut faire un enfant sans se poser de questions, sauf moi ! » se révolte Anne. « C’est une vraie blessure que de ne pouvoir donner la vie, souligne Geneviève Delaisi, pour compren­dre, il faut se référer à l’expérience du deuil.»Isabelle Tilmant, psychothérapeute, accompagne des femmes sur ce chemin difficile: «La maternité est très idéalisée dans notre société; toute petite fille grandit avec l’idée qu’elle aura des enfants un jour. Mais toutes les femmes n’en ont pas le même désir : cela peut être le désir d’aimer et d’être aimée, celui d’être reconnue socialement, d’éduquer un enfant au quotidien… Il n’y a pas de jugement à porter là-dessus. Mais le savoir permet de faire des choix de vie.»Pour celles qui éprouvent un grand désir d’enfant, et qui n’y arrivent pas, c’est extrêmement douloureux: «Elles passent souvent d’abord par une phase d’activisme forcené, de consultations de médecins divers aux tentatives de PMA. Se soumettant à tout, vivant dans l’obsession, au rythme des déceptions régulières. Avec un vrai risque de dépression ; plus que les hommes, car cela passe par leur corps. Quand vient le moment où on leur dit: “Il n’y a plus rien à faire”, le désespoir est immense : la vie n’a plus de sens, comme si tout s’arrêtait. Elles se sentent à la fois exclues de la vie sociale, de la complicité féminine, de leur propre famille. En plus, il y a la culpabilité de l’un envers l’autre, si les deux conjoints ont le même désir d’enfant. Une souffrance insuffisamment reconnue par l’entourage, car elle ne se voit pas.» Béatrice et Antoine ont vécu cela: «Nous n’avons jamais souhaité en discuter…»

«TRANSFORMER LA SOUFFRANCE EN UNE AUTRE FORME DE FÉCONDITÉ PSYCHIQUE »

«Nos enfants ne nous ont jamais parlé de leurs difficultés, nous ne savons pas où ils en sont, quelle attitude avoir…», explique Laurence, mère et belle-mère. Pourquoi ce silence ? « Il s’agit du plus intime de l’intime, comme tout ce qui touche à la sexualité ; et les couples, d’une sensibilité exacerbée, préfèrent en dire le moins possible plutôt que d’affronter des paroles qui blessent » , reconnaît Isabelle Tilmant.  Elle poursuit :  « Ce n’est pas seulement d’un désir d’enfant qu’il faut faire le deuil, mais aussi de tout l’investissement, de tous les rêves faits autour de cet enfant. Cela prend beaucoup, beaucoup de temps, des vagues de douleur reviennent régulièrement, donnant l’impression décourageante de régression. Mais accepter ce processus de deuil, avec toutes les émotions violentes qu’il soulève, permet de le dépasser.»  Le risque serait, en enfermant tout cela en soi, que l’amertume prenne le dessus. Et l’enjeu est ainsi résumé par Joëlle Desjardins-Simon: «Sans passer par la paternité ou la maternité, réussir à rester vivants, à garder une identité sexuelle, à construire un couple humain, à faire sa place dans la société, et… à vivre heureux.»  «Il faut transformer toute cette souffrance en une autre forme de fécondité, une fécondité psychique, poursuit Isabelle Tilmant. Tout manque crée un creux ; où l’on peut percevoir, plutôt que du vide, un espace d’abondance. Les femmes peuvent alors prendre conscience que la maternité n’est qu’une composante de leur féminité, qu’elles disposent d’un espace, en temps et en énergie, pour faire ce que d’autres ne pourraient faire.Chacune l’occupe à sa manière, création artistique, investissement dans une maison… Celles qui veulent développer la dimension maternelle de leur personnalité peuvent alors choisir de s’investir auprès d’enfants : par l’adoption, bien sûr, mais aussi dans leur métier, une association. Les besoins sont très grands dans notre société, et elles ont un rôle à y jouer.» Reconnues, respectées et heureuses, au côté de leur compagnon.

GUILLEMETTE DE LA BORIE