Nouveaux affrontements autour du fœtus. Depuis qu’un arrêt de la Cour de cassation rendu public mercredi donne la possibilité de déclarer à l’état civil un fœtus né sans vie, quel que soit le stade de son développement, les réactions des camps idéologiquement opposés s’entrechoquent. D’un côté, les catholiques à tendance traditionaliste applaudissent des deux mains, tout comme les associations anti-avortement. L’Alliance pour les droits de la vie a ainsi salué hier une décision qui reconnaît «l’humanité du fœtus». De l’autre bord, les défenseurs du droit à l’avortement, ou plus généralement du droit des femmes, crient au scandale : «On ouvre une brèche, on dérape dans une folie», commentait hier Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial. «Je respecte la détresse des parents, je les accompagne tous les jours, renchérissait pour sa part Chantal Birman, sage-femme et présidente de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (Ancic). Avant d’insister sur la nécessité de «reconnaître les différents temps d’une grossesse». Si cet arrêt de la Cour de cassation pose un tel problème de fond, c’est précisément parce qu’il ignore le seuil des vingt-deux semaines d’aménorrhée autour duquel le deuil périnatal s’organisait jusqu’à maintenant.
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Seuil. Au point de départ de cet arrêt, trois couples confrontés à trois fœtus morts-nés entre dix-huit et vingt et une semaines et pesant entre 155 et 400 grammes. Entre 1996 et 2001, ces couples se sont vus refuser un enregistrement de ces «naissances» à l’état civil puisque cette possibilité n’est offerte que pour des fœtus de plus de vingt-deux semaines. C’est la règle, fixée par une circulaire. Et effectivement pas par une loi.
La circulaire du 30 novembre 2001 précise en effet sous quelles conditions un couple peut faire une telle demande (lire encadré). Ce texte relativement récent, comme l’est d’ailleurs la prise en compte de la détresse de couples confrontés au traumatisme d’une grossesse qui ne débouche pas sur la naissance d’un enfant bien portant, énumérait des situations au-dessus du seuil de vingt-deux semaines, et en dessous de ce seuil.
Or ce seuil n’existe pas par hasard. Il renvoie à la définition que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) donne depuis 1977 à l’enfant viable : un poids de plus de 500 grammes et une grossesse de plus de vingt-deux semaines. Le problème, c’est qu’au regard de la viabilité de quelques grands prématurés (à ce jour, une petite fille mexicaine née à vingt et une semaines serait toujours en vie), ce seuil peut paraître obsolète à certains.
Mais, en faisant de la sorte fi d’un quelconque délai de gestation, la Cour de cassation ouvre le champ à tous ceux qui rêvent d’une consécration de l’embryon. Et son arrêt est évidemment sujet à récupération.
«Provocateur». L’avocat général qui a présenté ses conclusions semble cependant assumer d’avoir mis les pieds dans le plat : il explique que sa volonté est de bousculer le législateur. C’est-à-dire le pousser à créer une loi qui aurait plus d’autorité qu’une circulaire. Le médiateur de la République l’appelle également de ses vœux : «C’est exactement le sens de la réforme que je demande au gouvernement et aux différents ministères : que la loi fixe très clairement la règle des vingt-deux semaines. A partir de là, on pourra reconnaître des droits identiques à tous les parents», a déclaré hier Jean-Paul Delevoye.
Un point de vue également partagé par Maryse Dumoulin, médecin praticien à la maternité Jeanne-de-Flandre du CHU de Lille (Nord), et pionnière dans la reconnaissance du deuil périnatal (1) : «Ce seuil nous ancre dans une réalité concrète, palpable. En tant que médecin somaticien, il me convient parfaitement.» Puis elle ajoute : «Les équipes médicales doivent accuser réception de la douleur de ces couples, et les accompagner. Mais on ne peut pas mélanger l’affectif et le juridique.»
Certains imaginent déjà quantités d’abus auxquels le nouvel arrêt semble ouvrir la voie : droits à des congés maternité après quelques semaines d’aménorrhée, droit à la retraite, aux allocations familiales… «C’est sans doute un arrêt provocateur», estime le juriste spécialiste du droit de la famille Pierre Murat. «L’avantage, c’est que face à une réalité sociale, il va permettre de dresser un état des lieux.» Hier soir, la chancellerie faisait savoir que cet arrêt de la Cour de cassation n’était pas nécessairement un appel à changer des règles existant déjà. Une façon d’appeler à un retour au calme ?
(1) www.toutpetits.org
Par MARIE-JOËLLE GROS - http://www.liberation.fr/