Par Jasmin Guénette, Québec (*)
En réalité, la mesure proposée par l’Association québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP) n’est pas un prix plafond au sens strict du terme. Le prix maximal de l’essence continuerait de varier en fonction du coût du baril de pétrole brut à l’échelle mondiale. Les détaillants indépendants souhaitent plutôt établir une marge bénéficiaire minimale et maximale. S’il est possible qu’elle amoindrisse les fluctuations soudaines du prix de l’essence à la pompe, cette proposition ne diminuera aucunement les prix.
La mesure existe déjà dans les provinces de l’Atlantique et ne permet pas aux consommateurs d’économiser. Au contraire, selon une étude à paraître dans l’American Law and Economics Review, les consommateurs de l’Atlantique perdent chaque année l’équivalent de $17,4 M en raison du prix maximal en vigueur dans ces provinces. Cette perte s’explique par le fait que les détaillants semblent fixer leur prix de vente sur le prix maximal qui sert alors à limiter la concurrence comme dans les cas de collusion.
Rappel
Si on voulait établir un prix plafond au sens strict sans égard au prix du brut, comme le laissent entendre certains politiciens, quel serait l’impact sur le marché de l’essence ? La réponse est simple : si on fixe un prix plafond inférieur au prix du marché, l’offre ne répond plus à la demande. D’une part, la quantité demandée augmente, puisque les consommateurs épargneront moins l’essence si elle coûte moins cher. D’autre part, la quantité offerte diminue, puisque les producteurs et les détaillants seront moins intéressés à vendre. Autrement dit, le Québec risque de devoir composer avec des pénuries d’essence.
Un bon exemple du phénomène s’est produit au début des années 1970, alors que le prix du pétrole brut tripla sur le marché mondial. Au Canada, les gouvernements laissèrent le prix du pétrole brut et de l’essence augmenter et équilibrer l’offre et la demande. Aux États-Unis, le président Nixon avait imposé un prix plafond, et le pétrole brut ainsi que l’essence durent être rationnés. Les photos des longues files d’attente autour des stations-service firent le tour du monde. L’essence coûtait effectivement moins cher, pour ceux qui réussissaient à s’en procurer ! Seule la suppression de ces contrôles put régler le problème. Ceux qui ignorent l’histoire se condamnent à la répéter et le Québec, avec sa devise je me souviens, ne devrait pas tomber dans ce travers.
Que peut faire le gouvernement ?
Le prix de l’essence n’aurait peut-être pas tant grimpé si Québec n’imposait pas déjà un prix plancher, avec l’appui de l’AQUIP, qui veut du reste renforcer ce contrôle. Il faut noter l’ironie de la situation.
Le gouvernement impose un prix minimal pour plaire aux producteurs les moins rentables, ce qui limite les guerres de prix dont profiteraient pourtant les consommateurs. S’il ajoute une marge bénéficiaire maximale au système actuel de contrôle, on aura des prix qui varieront dans des limites plus étroites, mais qui seront généralement plus élevés.
La majeure partie du prix de l’essence provient du prix du pétrole brut. En fait, la hausse du prix du pétrole brut depuis février 2009 a été de 116% (après une conversion en dollars canadiens). Or, le prix de l’essence ordinaire à Montréal n’a augmenté que de 59%. Toujours à Montréal, il y a près de 40% du prix de détail de l’essence qui est composé de taxes, dont la plus grande partie – plus de 20% du prix total de l’essence – découle de trois taxes provinciales. Si le gouvernement du Québec voulait vraiment limiter la hausse des prix et soulager les consommateurs, il commencerait par réduire ces taxes. De toute manière, il est préférable de laisser le marché déterminer les prix plutôt que d’en confier la fixation à une bureaucratie et à des groupes de pression.
Espérons que Québec résistera aux pressions de ceux qui appuient un prix plafond, peu importe sa forme, car cette mesure est contraire au bon sens économique.
(*) Jasmin Guénette est vice-président de l’Institut économique de Montréal.