Séismes

Publié le 16 mai 2011 par Egea

La nouvelle de ce week-end (l'arrestation de DSK, directeur du FMI et candidat putatif à l'élection présidentielle française) est, au sens premier : stupéfiante. C'est avec infiniment de prudence et de distance que j'évoquerai la chose, dans la perspective de ce blog : géopolitique. Ainsi, pas de supputation politique, grivoise, complotiste, comme on en lit trop souvent depuis quelques heures.

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Et pour cela, il faut repartir de l'adjectif "stupéfiant", 'qui nous frappe de stupeur' : adjectif que j'avais déjà utilisé il y a un mois, à propos du Japon.

1/ Qui donc n'a été frappé de stupeur, dimanche, lorsqu'il a appris la nouvelle et ce matin, lorsqu'il a vu un dirigeant international sortir menotté d'un commissariat ? Cette stupeur renvoie à d'autres stupeurs que nous ne cessons de vivre, depuis maintenant quelques mois : crise financière de 2008, pyramide de Madoff, révolte tunisienne puis arabe, tremblement de terre du Japon, mort de Ben Laden....

2/ Au fond, c'est comme s'il y avait une similitude entre les décharges sismiques qui agitent les tréfonds de la planète et les mêmes décharges qui allègent, brusquement, les structures sociales de la même planète : alors, on aurait une succession de ruptures des énergies contenues. On ne cesse d'utiliser le mot de "système" pour décrire des organisations (au sens sociologique du terme) closes : mais justement, trop closes, elles absorbent les tensions intérieures comme extérieures jusqu'à posséder une charge d'énergie propre qu'un rien suffit à libérer : ainsi, un événement anodin (un assassinat d’archiduc dans une province reculée de l'empire, ou le suicide d'un vendeur ambulant de quatre-saisons au fin fond de la Tunisie) déclenche des effets incalculables. Je crois que c'est différent de la théorie du chaos et de son effet papillon : il ne s'agit pas seulement de l'interrelation des phénomènes, mais aussi de l’imprévisibilité aléatoire des ruptures d'énergies sociales dans des systèmes trop contenus.

3/ Aussitôt, une question vient à l'esprit : le monde actuel renforce-t-il ces phénomènes d'accumulation d'énergie, et donc leur libération brusque ? La question, pour l'instant, mérite seulement d'être posée. Elle serait un aspect méconnu de cette planétisation que j'évoque de temps à autres.

4/ On me dira que cela a peu à voir avec l'affaire d'aujourd'hui : je réponds aussitôt qu'au contraire, ces énergies collectives pèsent plus encore sur les individus que sur les collectivités : regardez les conséquences possibles de l'affaire DSK que l'on commence à déceler :

  • affaiblissement d'un FMI qui était en phase de refonte, avec une séparation entre bloc occidental et bloc émergent ;
  • mais aussi conséquences lourdes sur la cohérence économico-financière de la zone euro, et tout d'abord au travers du cas grec que chacun espérait reporter à dans quelques mois :

brusquement, les questions sous-jacentes, pour lesquelles on élaborait, lentement, des compromis, doivent recevoir des solutions. Il n'est pas dit qu'elles n'en reçoivent pas : en revanche, c'est sous des conditions de risque qui en garantissent moins la pérennité.

5/ Dernier commentaire, d'un tout autre point de vue, que suscite cette affaire DSK : celle de la justice américaine : en moins de quinze jours, on l'a questionnée pour sa rapidité et sa "brutalité" : aucun jugement dans ces mots, juste un constat. En effet, la mort de Ben Laden comme l'arrestation de DSK sont l'expression d'un rapport américain au droit qui paraît très singulier. Qu'un droit soit acculturé n'est pas choquant en soi : mais on constate en revanche que le droit américain a des effets qu'aucun autre droit n'égale encore.

O. Kempf