Magazine Poésie

Lаbаrmаіd : pоème Lа vіeіlle dаme

Par Illusionperdu @IllusionPerdu

La vieille dame

C'est aujourd'hui dimanche et la très vieille dame

Regarde par le carreau de sa geôle dorée;

Le coeur empli d'espoir, l'oeil sur le macadam,

Elle attend la venue possible d'un être aimé.

Fiévreuse, elle va et vient, comme lionne en cage,

De la fenêtre au lit, du lit à la fenêtre.

Sa chambre est un cachot, un triste sarcophage,

Qu'on lui a imposé, pour son bien... son bien-être...

Pour meubler son attente, elle cueille tendrement,

Comme elle l'a déjà fait plus d'un millier de fois,

Du fond de son tiroir une boîte en fer-blanc,

Dans laquelle sommeillent des fragments d'autrefois.

Avec des gestes lents, empreints de déférence,

Elle caresse l'écrin bosselé par les ans,

Qui abrite en son ventre des débris d'existence,

Des parcelles de vie, des bêtises d'antan.

Une poignée de reliques, quelques miettes d'histoire,

Symboles indéniables qu'elle a déjà vécu

Autrement qu'enfermée dans une tour d'ivoire,

Oubliée des vivants comme mise au rebut.

Et comme à chaque fois, qu'elle exhume du fond

Du meuble son trésor, ses yeux soudain s'animent.

Elle est la proie de toute une foule d'émotions

Et son vieux coeur usé cogne dans sa poitrine.

Elle soulève le couvercle de son précieux coffret

Et voilà tout à coup le passé qui surgit,

Qui tournoie dans la pièce comme un gai farfadet,

Chassant le désespoir, pulvérisant l'ennui.

Elle caresse en tremblant des mèches de cheveux,

Éprouve leur douceur dans les plis de ses joues;

Les souv'nirs qu'elles engendrent sont si vertigineux

Qu'elle s'appuie à son lit comme à un garde-fou.

Puis, d'un pas chancelant, elle marche vers sa chaise,

Et s'y laisse tomber en étreignant sa boîte.

Le courant d'la mémoire est pareil au trapèze,

Il peut blesser parfois, quand par trop on s'y hâte.

Doucement elle s'apprête à partir en voyage

Sur les ailes du temps, sans âge et sans frontière.

Elle redevient au cours, de ces pélerinages

La femme qui, jadis, ne craignait pas l'hiver.

L'âme est un long courrier qui navigue au hasard

Et celle de l'aieule sillonne sur les flots

D'une époque défunte, d'une époque où l'espoir

Alimentait ses rêves, ses nobles idéaux.

Mille réminiscences brusquement l'envahissent.

Du livre de sa vie surgissent des fantôme;

Du passé elle refait le parcours en esquisses,

Du berceau des enfants à la bière de son homme.

L'âme en deuil et les yeux pleins d'un brouillard épais,

Nostalgique elle referme le coffret funéraire,

En pensant que, bientôt, pour elle se bouclerait

La boucle en un ultime voyage au cimetière.

L'hostile réalité, soudain, refait surface,

Et l'importun présent se subroge à jadis;

Les fastes de naguère sont des ombres fugaces

Jalonnant le désert comme des oasis.

Le jour s'évanouit, survient le crépuscule,

Personne n'est venu distraire la grand-mère.

La solitude étend ses froides tentacules

Quand la Faucheuse rôde, le printemps fuit l'hiver.

Alors pour tuer l'temps, la vieille dame prie,

Égrenant un chapelet aux avés monotones;

Elle murmure tout bas «Je vous salue Marie»,

Faites que celui-ci, soit mon dernier automne.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Illusionperdu 3193 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines