Une situation particulièrement scandaleuse:
– La préparation du film s'est faite à partir de Paris, concernant la décoration, les costumes et la production, avec des contrats français, régie par les conventions en vigueur en France, sous la production de QUINTA PRODUCTION, propriété du producteur, Tarak Ben Ammar.
– À l'issue de cette préparation, soit 5 jours avant le tournage, QUINTA PRODUCTION a annoncé à tous les techniciens français (soit une quarantaine de personnes) que la production du tournage (environ 16 semaines) serait prise en charge par une production tunisienne, EMPIRE STUDIO, sous- division de CARTHAGO, elle-même émanation de QUINTA PRODUCTION, et régie par les conventions tunisiennes.
Deux contrats ont été proposés à chacun des techniciens :
– un contrat standard tunisien, avec salaire brut au tarif syndical, prélèvements
sociaux (tunisiens) de 9%. sans cotisations retraite, chômage, congés spectacles, etc, pas de couverture sécurité sociale et accidents du travail .Les bulletins de salaires tunisiens étant payés en Euros et virés sur les comptes.
– Soit un contrat d'assistance technique : pas de cotisations, rémunéré comme mercenaire, selon le principe d'accords France/Tunisie concernant « l'exportation d'un savoir-faire ». -La couverture Accident du Travail était en principe prise en charge par une assurance privée.
Pris de cours, les techniciens français ont tenté de proposer une alternative plus conforme aux droits du travail français, mais la production a refusé tout compromis, arguant même d'une facilité à remplacer chacun des postes et salariés par des techniciens en Italie. Finalement, la grande majorité des techniciens, investie dans le projet, s'est pliée au chantage et est partie en Tunisie, aux conditions de Quinta Prod et Empire Studio.
À cette problématique, se greffe le second volet de « l'affaire », soit la demande d'agrément que Quinta Production a déposé par deux fois au C.N.C. et que la commission a refusé à l'unanimité à chaque fois. Et où il est question que passant outre ces deux rejets, le président du C.N.C. (véritable et seul décisionnaire – de facto) s'apprêterait à accorder l'agrément.
Actuellement la société Quinta Communications (dont le Président est M.Tarak BEN AMMAR) est producteur délégué du film, dont le devis est de 38 millions d’euros et dont les lieux de tournage se situaient en Tunisie et au Qatar durant 3 mois.Ce film a fait l’objet d’une coproduction franco-italienne, à raison de 90 % pour la partie française et 10 % pour la partie italienne.
Pour toute l'équipe française:
- perte de l’application de la couverture sécurité sociale et accidents du travail française
et retraite vieillesse,
- perte des points de retraite complémentaire
- perte de leurs indemnités congés spectacles,
- perte de leurs droits à l’ouverture de droits à l’indemnisation chômage,
- perte de l’application de la Convention collective nationale de la Production cinématographique
Pour la société de production Quinta communications :
- une économie de plusieurs millions d’euros de charges sociales réalisée sur le dos des salariés résidents français, charges sociales dont, en qualité de producteur délégué, elle devrait s’acquitter en France.
Lors de la réunion de la Commission d’agrément, l’ensemble des Organisations syndicales de producteurs et des autres Organisations siégeant à la Commission ont ce considéré procédé particulièrement choquant, abusif et inacceptable et ont – à l’unanimité – opposé un avis défavorable à l’agrément au bénéfice des Fonds de Soutien financier de ce film.
Les membres de la Commission d’agrément ont, à l’unanimité, contesté l’analyse que fait le service juridique du CNC de cette situation et renouvelé une seconde fois leur avis défavorable à l’agrément de ce film.La Commission d’agrément n’émet qu’un avis consultatif, la décision d’agréer ou non le film au bénéfice du Soutien financier de l’État, appartient au Président du CNC.
Plusieurs associations de techniciens, dont l'Association des Décorateurs de Cinéma ont adressé un courrier au président du CNC pour lui demander de suivre la commission et de refuser de signer l'agrément.
La lettre de l'ADC (http://www.adcine.com/) au président du CNC:
Monsieur Eric GARANDEAU Centre National du Cinéma et de l’image Animée 12, rue de Lübeck 75784 Paris cedex 16
Paris, le 31 mars 2011
Monsieur le Président,
Nous sollicitons votre attention sur la demande d’agrément du film « La Soif Noire » de Jean-Jacques Annaud, produit par la société Quinta Communications.
Cette société de production française a mis en place un système lui permettant de salarier par l’intermédiaire d’une société tunisienne, Empire Studio, les techniciens français travaillant sur ce film et, de ce fait, de s’affranchir de cotiser aux charges sociales inhérentes à l’emploi de tout salarié (congés payés, assurance maladie, assurance vieillesse, assurance-chômage, retraite complémentaire…).
La société Quinta Communications a déposé une demande d’agrément auprès du C.N.C. afin de bénéficier du soutien financier de l’État pour la production de ce film.
Cette demande a reçu un avis défavorable, exprimé à l’unanimité lors d’une première assemblée des membres de la commission d’agrément, du fait des conditions d’emploi des ouvriers et techniciens français.
Comme suite à cette première consultation, le service juridique du C.N.C. a présenté une analyse démontrant qu’il n’y aurait pas d’antagonisme à percevoir une aide financière de l’État et externaliser la main d’œuvre française par l’entremise d’une société étrangère .
La commission d’agrément s’est réunie une seconde fois, invitant le responsable du service juridique à exposer cette analyse.
À nouveau, et pour les mêmes motifs, cette assemblée a exprimé à l’unanimité un avis défavorable à l’obtention de l’agrément.
Cette commission n’ayant qu’un avis consultatif, cette demande est désormais entre vos mains.
Bien que juridiquement notre avis en tant qu’association ne soit pas recevable, nous, techniciens directement concernés, souhaiterions vous exposer notre point de vue.
Même si cela est une évidence, il est utile de rappeler que le système imposé aux techniciens par la société Quinta Communications est très préjudiciable aux acquis sociaux fondamentaux de tout salarié, qu’aucun courant de pensée politique dans la société française contemporaine ne songe à remettre en question.
Plus déplorable encore, une partie des intéressés s’est vue imposer ce principe à l’issue de la préparation. C’est-à-dire, à un moment où le choix n’est pratiquement plus possible, tant par l’implication du technicien à l’égard du projet, que par les conséquences financières personnelles d’un refus.
Il est important de souligner que, si les ouvriers et techniciens travaillant sur « La Soif Noire » avaient eu le choix de leur statut, le débat ne se poserait pas en ces termes.
Il ne semble pas que la faisabilité de ce film soit subordonnée à l’application de telles méthodes de production, il s’agirait plutôt d’une manipulation dont la seule finalité est de servir l’intérêt financier de Quinta Communications.
Ce qui pose problème dans le cas « Quinta Communications », c’est d’avoir imposé ce principe aux techniciens : travailler en abandonnant ses droits sociaux ou… ne pas travailler.
Nous remarquons que, selon le Code du Cinéma, le C.N.C. a, entre autres, pour mission : “…de contribuer, dans lʼintérêt général, au financement et au développement du cinéma… À cette fin, il soutient, notamment par lʼattribution dʼaides financières : la création, la production, la distribution, la diffusion et la promotion des œuvres cinématographiques…; dans ce cadre il sʼassure, notamment en ce qui concerne lʼemploi dans le secteur de la production, du respect par les bénéficiaires des aides de leurs obligations socials. “ (Article L. 111-2 – 2-a)
Pourtant, il apparaît que dans le cadre de la fabrication de ce film, aucune obligation sociale à l’égard des ouvriers et techniciens français n’ait été respectée…
Avaliser officiellement ce mode de production créerait un précédent, et ferait dorénavant courir le risque d’avoir à abandonner nos droits sociaux les plus élémentaires lors de missions à l’étranger.
Même si, juridiquement, il est possible de prétendre bénéficier du soutien de l’État et d’imposer de telles conditions de travail, le C.N.C. en accordant l’agrément doit-il envoyer un tel message à l’encontre de la profession pour le seul bénéfice d’une société de production ?
Nous sommes confiants, Monsieur le Président, de toute la bienveillance que vous porterez à nos réflexions.
Il en va de notre intérêt commun, C.N.C., producteurs et techniciens, que continue à rayonner à travers le monde ce cinéma français de qualité auquel nous sommes attachés.
Nous vous remercions de votre attention et vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération distinguée,
Pour l’Association des Décorateurs de Cinéma, Jean-Marc KERDELHUE Président de l’A.D.C.