La nouvelle de l’arrestation de DSK est un rude coup porté à ceux qui soutenaient sa candidature, aux socialistes et à la gauche. L’émotion, la stupeur, la déception et la colère sont donc des réactions compréhensibles, dans un premier temps. Mais dans second temps, il est du devoir de tout militant politique de dépasser ces affects et de se demander quel comportement avoir dans cette situation inédite.
Le premier point qui me semble important est non pas la prudence comme on l’entend parfois, mais le retour à la raison. Il ne s’agit pas de se modérer, mais de remettre les faits dans le bon ordre. Les scandales politiques et notamment politico-sexuels, jouant sur deux thématiques fortement fantasmatiques, ont une tendance naturelle à déchaîner les passions et le commentaire sur le commentaire. Et faute de faits, ce sont justement souvent les commentaires qui finissent par devenir la seule matière sur laquelle on disserte. En l’occurrence que sait-on du fond de l’affaire ? A peu près rien, si ce n’est une accusation et quelques détails censés frapper les esprits. Toutes les spéculations sont donc douteuses, surtout quand elles consistent à chanter l’air du tout le monde le savait bien et, avec un regard entendu, à tirer un trait d’union entre chaud lapin et violeur, à laisser entendre que le viol suit la Porsche comme une continuation logique. « Laisser la justice faire son travail » n’est pas une formule creuse et diplomatique, mais la seule maxime à laquelle on puisse se tenir à l’heure actuelle, la distance géographique et juridique ne facilitant d’ailleurs pas la compréhension des tenants et des aboutissants de l’affaire.
La seconde nécessité est d’enrayer, ou au minimum de ne pas nourrir, la machine médiatique qui s’est mise en marche dès les premières dépêches d’outre-Atlantique. Nul besoin de voir ici la main du pouvoir en place : l’odeur du sang (et du sperme) enclenche une logique commerciale de surenchère journalistique, où une partie de la presse se protège derrière le parfum de scandale propre aux faits reprochés, pour se permettre les comportements de charognard les plus indécents. La presse dite de gauche n’est d’ailleurs pas la dernière à se ruer sur la (bonne) affaire, avec un « direct live » permettant de suivre les derniers rebondissements, en une sur le site du Monde comme sur celui du Nouvel Observateur, et avec des articles dont le titre (« DSK rattrapé à la culotte » dans Libération, « DSK : la rechute » dans Le Monde, sans parler de Metro et de sa “Débandade”) rivalisent dans le grand-guignolesque voire l’odieux. Les médias tiennent la suite du storytelling commencé avec l’incident de la Porsche et ils ne vont pas le lâcher de si tôt, mêlant apparence de froide objectivité journalistique et postures de curé pour justifier une ligne éditoriale digne d’un tabloïd. Ils feront leur miel des moindres bruits dissonants au sein de la gauche et du PS.
Le troisième point est justement de se rappeler les termes de fraternité et de camaraderie, si on leur prête encore un sens. J’ai vécu de près, dans l’histoire récente, le lâchage par son parti d’un camarade pourtant innocenté au bout du compte – je n’ai pas envie de voir cela une seconde fois. Les premières heures, les premiers jours sont cruciaux pour déterminer l’ambiance générale de la presse et de l’opinion : c’est maintenant qu’il faut faire bloc, serrer les coudes et rappeler sans nuance et publiquement le principe de présomption d’innocence. Sans finasser, sans en profiter pour donner des leçons de morale et disserter sur l’horreur du viol (qui en doute ?). Un silence gêné ou la profusion de qualificatifs ambigus, comme le coup de tonnerre de Martine Aubry, donneraient par ailleurs un bien mauvais signal à nos concitoyens, qui doutent toujours de l’unité réelle du parti socialiste. L’heure n’est pas aux calculs, ni aux stratégies à 1000 bandes, ni au colportage de ragots douteux pour faire parler de sa candidature aux primaires.
Quatrièmement et enfin, profitons-en pour (re)serrer les boulons. Cette information aurait dans tous les cas fait le buzz, mais elle le fait d’autant plus, et mine également d’autant plus les socialistes, qu’elle vient s’inscrire à la suite de toute une série d’incidents et d’erreurs qui créent une ambiance générale de confusion et de délitement à gauche. C’est la focalisation délirante sur la possible/probable/certaine/hypothétique candidature de DSK, investi tacitement du rôle de sauveur de la gauche, qui a contribué à créer une pression tout aussi délirante sur sa personne et ses moindres faits et gestes. C’est cette pression qui a permis qu’éclate – sur du vide ! – l’affaire de la Porsche. Erreur de débutant encore, mais étrangère à DSK pour le coup, que la publication plus que maladroite d’un rapport Terra Nova, théorisant noir sur blanc l’abandon des ouvriers et employés blancs par le PS, à moins d’un an de l’élection présidentielle. Je ne continuerai pas cette liste, que chacun pourra prolonger avec son expérience personnelle. Il est plus que temps de sonner la fin de la récréation, et de réaliser que l’on s’apprête à vivre une élection extrêmement dure face à un président sortant qui est loin d’être mort. La chance de la gauche, cette fois, était de partir relativement vierge à l’offensive, face à une droite particulièrement lestée de casseroles et d’échecs ; les incidents récents rognent cette chance, en pesant comme autant de boulets qu’il faudra justifier et défendre durant la campagne.
Si nul ne peut savoir, à cette heure, ce qu’il adviendra judiciairement et politiquement de DSK, il est encore possible de sortir par le haut de cette mauvaise passe en rappelant chacun à sa responsabilité, et le collectif à son devoir – celui de tout mettre en œuvre pour gagner en 2012.
Romain Pigenel