La première fois que j'ai entendu parler de Liber Pater, c'est par un ami vigneron qui a rencontré à plusieurs reprises le jeune propriétaire, Loïc Pasquet, car ils partagent un intérêt pour le travail du cheval dans les vignes. Et puis, dans son numéro de Janvier 2011, la RVF le considère comme La découverte de l'année.
Cela interpèle pour un domaine inconnu de tous. S'ensuit une discussion animée à son sujet sur le forum La passion du vin, où tout le monde échange sur un vin que personne n'a goûté (et un domaine que personne n'a visité). Le vigneron intervient personnellement pour expliquer sa démarche, mais aussi pour inviter les amateurs intéressés à venir voir sur place ce qu'il se passe à Liber Pater. Je retiens cette proposition et me dis que lorsque je retournerai dans le Bordelais, je n'y manquerai pas.
Eh bien voilà : entre mes rendez-vous saint-émilionnais et médocains, j'ai en ai profité pour faire une descente à Landiras. Arrivé sur place, ça paie pas vraiment de mine : de jeunes vignes plantées deux mois plus tôt qui ont bien du mal à démarrer avec le cagnard actuel. A côté, des vignes plantées l'an passé qui auraient besoin de « passer chez le coiffeur » tellement elles sont touffues. Dans les deux cas, elles sont plantées très serrées : 75 cm sur 75cm, ce qui nous donne 20 000 pieds par hectare !
L'arrivée de Loïck Pasquet me permet d'avoir des lumières sur le travail entrepris. Ce que je vois, ce sont des boutures issues d'une très vielle souche locale de Cabernet Sauvignon. Il faut savoir que ce cépage a été créé il y a 250 ans dans les Graves pour répondre aux besoins des vignerons de l'époque. Contrairement à ses « parents » (le Cabernet Franc et le Sauvignon), il affectionne les sols sablo-graveleux et une certaine contrainte hydrique. La souche retrouvée par Loïck Pasquet serait proche de l'originelle, avec des grains beaucoup plus petit, ce qui donne un rapport jus/marc exceptionnel de 50/50.
A quelques centaines de mètres de la parcelle de vigne, une excavation permet de mieux comprendre le terroir exceptionnel de Landiras. Tout en haut, une fine couche de terre arable sablo-graveleuses. Et puis en dessous : des graves, des graves et encore des graves !
Contrairement à ce que l'on peut voir dans une bonne partie des sols sablo-graveleux Bordelais, il n' y pas en profondeur de gley ou d'alios formés de concrétions de fer créant une véritable carapace et des situations d'hydromorphie (les racines des vignes se retrouve régulièrement immergées). Durant l'ère tertiaire, Landiras formait un anticlinal, renflement sur lequel butait l'ancêtre de la Garonne, y déversant une bonne partie de ses graves. La « coupe de sol » montre par ailleurs que les racines peuvent y plonger sans contrainte sur plusieurs mètres, retrouvant alors fraîcheur et humidité (non excessives).
Les racines, justement, parlons-en. Loïck Pasquet est un adepte des vignes franches de pied . Lorsqu'il a racheté le vignoble, il a constaté qu'une partie des vieilles vignes n'était pas greffée, et que ça ne leur posait pas de problème. Il faut dire que le phylloxera préfère l'argile au sable et les racines superficielles au racines plongeantes. Or les racines des vignes "françaises" ont un chevelu racinaire plus touffu et vigoureux que les vignes américaines.
Notre vigneron multiplie actuellement deux cépages en voie de disparition : le Castets et le Mancin. Le premier, créé au milieu XIXème siècle, a une maturité encore plus tardive que le Cabernet Sauvignon, avec une concentration phénolique phénoménale, tout en gardant une bonne souplesse des tannins. Avec le réchauffement climatique, il représente un avenir pour la viticulture bordelaise.
Afin de pouvoir arroser ses jeunes vignes et lutter contre une éventuelle apparition du phylloxera, deux bassins ont été creusés sur la propriété, alimentés par des sources. Une pompe amène ensuite l'eau vers le vignoble.
Le cheval et la mule sont utilisés pour travailler les sols et traiter la vigne (en bio : cuivre et soufre). Cela évite de trop tasser les sols et de moins polluer l'environnement.
En attendant que ses nouvelles plantations soient opérationnelles, Loïck Pasquet vendange les plus vieilles vignes du domaine, âgées de 80 ans (Sémillon et Merlot principalement).
Le chai de fortune est pour l'instant à Barsac en attendant que le nouveau soit construit à proximité des vignes. Il sera enterré afin de profiter de la fraîcheur du sol.
Reste tout de même à déguster le vin. Le 2007 contient 60 % de Cabernet Sauvignon et 40 % Merlot. Il a été vinifié puis élevé en barriques neuves 24 mois. La robe est pourpre sombre. Le nez a des notes de cassis bien mûr, de terre fraîche, d'épices et de moka. La bouche est ample, avec une matière dense et moelleuse, des tannins veloutés sans aucune aspérité. La finale est longue, gourmande et épicée. Le tout est d'un grand équilibre, et d'une remarquable maturité pour un 2007.
Très joli vin. Est-il raisonnable de le payer 300 € ? Objectivement, non. Reste que ça l'est encore moins lorsque certaines personnes achètent au même prix (exemple pris totalement au hasard) un Carruades de Lafite. S'il y a des gens que ça ne dérange pas de payer de telles sommes, autant qu'ils l'investissent dans un domaine à la recherche de nouvelles voies (sachant que ça ne fera pas des sommes astronomiques, la production étant très confidentielle).
Il est probable que les futurs Liber Pater seront à l'avenir très différent de celui-ci, du fait d'un encépagement atypique planté en franc de pied. Je pense repasser dans les années à venir pour voir l'évolution de ce domaine.
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