La toute jeune maison d’édition Les Arêtes, sise à La Rochelle, a récemment sorti un bel ouvrage d’Anita J. Laulla, jusque là principalement publiée à l’Atelier de l’Agneau. Occasion de découvrir le travail d’un tout, tout petit éditeur, une éditrice en l’occurrence, Sandrine Pot, et de s’attarder un peu sur l’univers d’un auteur que fascine tout autant le travail, la danse des mots à l’intérieur de la page, que le travail des corps, des cœurs, des lignes et des couleurs à l’œuvre sur la scène.
Il serait assez facile, pour commencer, de présenter le livre d’Anita J. Laulla en écrivant qu’il s’agit d’une suite d’une petite quarantaine de tableaux animés, en prose, montrant l’arrivée d’un cirque, son installation, ses tours, ses numéros, puis son départ à nouveau sur les routes, la caravane colorée des véhicules disparaissant avec le soleil, la colline blanche et la nuit, le rideau qui tombe. Cela donnerait l’idée d’un livre chaleureux traversé de rudes senteurs animales mélangées d’odeurs de barbes à papa, d’éclats cuivrés de fanfare alternés de roulements de tambour et de salves d’applaudissements. Avec en bout de ligne des regards éblouis d’enfance, des scintillements de paillettes, les étoiles, pour un soir, devenues plus brillantes sur le couvercle morne de notre vie.
Certes, le pittoresque est bien présent dans ce livre, et la magie, la transfiguration. Voire tout ce vieux paquet de figures plus ou moins attendues : l’Hercule tendre, la Funambule désemparée, le Dompteur amoureux, le Clown triste, sans compter les petits chevaux qui tournent, tournent, tournent… Mais la réalité du livre n’est pas là. Se penchant vers l’univers si particulier en même temps que fascinant du cirque, Anita J. Laulla ne semble pas s’éloigner pour autant d’elle-même. Retendant, texte après texte, le fil de ses longues phrases, au rythme bien marqué, comme bandé d’anaphores, c’est tout le mouvement, la voltige, d’une sensibilité, d’un imaginaire profondément habités qu’elle envoie danser devant nous. Ce cirque la reflète. Lui répond. C’est le sien. Comme c’est celui également de son écriture. Voire de toute écriture. Écuyère debout sur sa phrase ou dompteuse des mots qu’elle lance à son tour sur la piste pour y réaliser leur numéro, elle fait tourner ses petits chevaux sur la page rêvant de les voir perdre leur bandeau pour leur faire enfin traverser le ciel. Retrouver un monde peut-être à jamais perdu. Dans sa totalité, son ardeur, sa caresse.
Car c’est de flamboiement, de tendresse rageuse et d’impétueuse nostalgie dont nous parle par le détour du cirque, le livre d’Anita J. Laulla. Et de la magie des images. De la profondeur des surfaces. Du miroitement kaléidoscopique des représentations. À travers le costume élimé du cirque, de la petite piste étroite qui enferme le geste et qui le magnifie, de la toile mal jointe mais toute illuminée d’artifices qui les couvre, c’est, par la grâce, l’élan, de l’imaginaire, l’univers entier qui s’exhibe, cherche à prendre possession de nous. D’où cette façon unique qu’a le texte, de bout en bout, de concilier les durées, d’assembler l’intérieur et l’extérieur, le champ clos du spectacle et les champs du dehors. Les toiles peintes et les étoiles. Et de jeter entre elles ce fil lumineux d’acrobate : la poésie.
[Georges Guillain]
Anita J. Laulla, Cracheurs de feu, Les Arêtes, 2010
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