Débuts du XXe siècle, Solveig et Aron ont deux enfants, Sidner le fils et Eve-Liisa la fille. Aron est radioamateur et Solveig chante à l’église, jusqu’au drame quand elle se fait piétiner à mort par un troupeau de vaches. La saga va alors commencer et Göran Tunström tisse une fresque magistrale qui s’étend sur trois générations, d’Aron le père à Victor le fils de Sidner, de la Suède à la Nouvelle–Zélande, les deux extrémités du monde.
Formidablement bien construit ce roman nous entraîne au cœur de l’humain, la vie et la mort, la folie et l’amour. Les personnages se croisent, se quittent, reviennent au fil des chapitres et le lecteur doit s’appliquer pour suivre les évènements et les faits qui se succèdent, parfois éloignés semble-t-il de notre sujet mais tout se tient en réalité et l’auteur dirige son théâtre de marionnettes avec maestria.
Impossible de tout résumer, mais l’idylle qui va se nouer entre Aron devenu veuf et Tessa une jeune femme vivant en Nouvelle-Zélande rencontrée par le biais de son poste émetteur est un des points forts du livre. Tunström décrit à merveille la solitude affective de Tessa, prisonnière des rigidités de son époque et d’un frère trop possessif, qui pensera s’évader grâce à la correspondance secrète échangée avec Aron, lequel se risquera à partir vers ce pays lointain pour y refaire sa vie, mais… dans une saga rien n’est jamais simple, ni acquis. Je ne peux en dire plus sans vous gâcher le plaisir de la lecture, mais sachez que Sidner lui aussi partira beaucoup plus tard en terres australes, pour un pèlerinage de mémoire.
Il faudrait aussi que j’évoque Splendid fils de cul-de-jatte, le copain déluré de Sidner quand il était gamin ou bien Selma la poétesse et surtout Fanny qui deviendra la mère de leur fils Victor. Il y a encore la folie de certains des acteurs, les attentes et les espoirs déçus, Torin l’oncle rouquin de Sidner qui rame dans ce monde qui lui est étranger. Vous le voyez, ça foisonne, ça grouille, ça part dans tous les sens de prime abord, mais tout est sous contrôle de l’auteur.
Quand la partition de cet Oratorio de Noël s’achève, une œuvre de J.S Bach, vous êtes groggy, sonné par ce texte riche et plein de vie mais attention « la vie, on l’a compris, est épouvantable, mais ce n’est pas une raison pour mourir. »
« Cher Aron, Mrs Winther m’a invitée à prendre le café aujourd’hui, je suis arrivée juste avant la fermeture, elle m’a fait un signe de tête pour m’inviter à la suivre dans son logement privé. J’ai compris tout de suite qu’il y avait une lettre pour moi. Voyant mon excitation, elle ma dit : Je sors un instant, tu peux rester ici pour la lire, personne ne te dérangera. J’ai fondu en larmes. Personne, je te le dis Aron, personne dans mon existence ne m’a jamais parlé ainsi droit dans les yeux. Comme la vie est cruelle, comme elle pourrait être bonne. De qui et de quoi les hommes ont-ils une telle crainte ? Est-ce de leur propre vie ? Est-ce la crainte de nos gigantesques possibilités ? Quand elle est revenue, elle est restée derrière ma chaise et m’a caressé les épaules, et elle ne m’a pas dit : Ne pleure pas. Mais au contraire : Profites-en et pleure maintenant, tant que tu voudras. »