Magazine Journal intime

Manuela

Par Francois Moussirou @LESALONIVRE

- Ta femme n'est pas là ?

- Non. En congé. Elle s'est barrée en Normandie avec les gosses.

- C'est ce qui me vaut ta présence ! Tu jongles bien mais un jour tu te feras choper. Elle doit avoir des doutes. N'oublie pas que nous habitons le même quartier. Tôt ou tard la vérité éclatera. Tu vas te retrouver bredouille avec tes deux voitures et ta folle consommation d'alcool.

- Qu'est-ce que ca peut te foutre Manuela ? Tu l'acceptes bien mon fric.

- Eh alors ! T'aimes bien mes courbes de mulâtresse à l'accent chaud du Brésil. ta femme blanche ne te procure tant de lubricité. Tu te sens viril avec moi. Tu me parles comme une chienne. Tu as le droit de te comporter comme un pitre. Ça te rend heureux. Tu te sens libre et jeune. Tu retrouves ton adolescence. Tu oublies ta quarantaine d'années et ta foutue vie de bourgeois.

- Ne m'emmerde pas Manuela.

- Mon bel Igor ! Tu finiras ta vie avec moi.

- Garçon ! La même chose pour madame et moi.

- Un verre de vin blanc et un Kir. Dit le Barman Roger qui ne captait rien de la conversation.

- Exact !

- Tu veux encore un verre ! Quand tu bois tu ne sais plus te tenir. C'est notre dernier verre ensuite on s'en va.

- Tu me montreras ta chambre ce soir !

- Ça dépend si t'es sage mais d'abord faisons nos comptes.

- Je n'ai que cinquante euros pour toi.

- Cinquante euros. Tu veux rire ! Tu n'as qu'à aller chez les arabes avec ta modique somme.

- Bon ! Cent euros c'est tout ce que je peux avoir pour toi.

- Tu as quelle voiture aujourd'hui ? Ta smart ou ta Audi ?

- Ma Audi !Tu crois que je peux voir ta chatte.

- Tout dépend si t'es sage !Attends-moi. Je vais aux toilettes. Quand je reviens, j'espère que t'auras fini ton verre.

Pendant ce temps Igor s'échauffe comme un ado regardant playboy. Il se rapproche de la porte des toilettes. Il veut rejoindre Manuela.

- Qu'est-ce que tu fous Manuela ? T'as la chiasse !

- Igor tu ne sais pas te tenir quand tu bois ! dit-elle depuis la porte des toilettes où Igor l'aurait bien culbuter.

- Dépêche-toi ma belle ! On doit s'occuper de nos affaires.

Un silence profond s'installe dans le café. Il y a peu de clients. Igor fait la causette avec le barman qui s'enquiert simplement de la note lorsque Manuela sort des toilettes avec son grand manteau noir de prédatrice. Souriante et décomplexée de sa tenue de péripatéticienne elle lance dans la salle : Je t'attends dans la voiture.

- À tout de suite ma biche ! Dit Igor qui se dirige vers les toilettes pour purger toute son exubérance.

Il ressort des chiottes comme un petit prince. Ce veinard sait qu'il pourra lever le pic dans quelques instants. Ça va commencer dans la voiture. Quelques claques dans les fesses. Une fellation baveuse pleine de glapissements. Son porte-jarretelle. Sa chatte parfumée. Son teint de mulâtresse digne d'un viol en plein champ de blé. Manuela serait pendu au désir de son maître comme du temps des grandes injustices perpétrées contre les noirs. Le sexe en noir et blanc. Le sexe payant. Ça enlève tout remord. Elle aussi se venge sur l'histoire. Il n'est rien sans son cul de mulâtresse. Elle l'ensorcelle. Le timbre de sa voix l'emprisonne. Il a toujours aimé les femmes africaines mais dans son monde, aimer ce genre de femmes, ça passe pour une trahison. Sa vie est une cavale. Manuela est sa tigresse, sa princesse. Sa préférée. Son fantasme monté sur pattes. Son voyage avec des passeports de contrebande. Il est clandestin comme elle. Il l'aime mais il paye pour s'offrir l'illusion d'une insensibilité. Sa froideur c'est pour mieux la dominer. Pourtant il sait que ce genre de femmes sont des géantes. Ce qu'elles acceptent de la vie peu d'entre nous le savent et ne seraient capable. Ces femmes sont une fiction à part entière. De jour comme de nuit. Elles sont toujours une autre. Entre deux voitures. Un café. Une nouvelle chambre d'hôtel. Un nom pour chaque client. Une parole pour chaque âme égarée qui aura eue le courage de succomber à leurs charmes.

Igor tient sa valeur d'homme avec ces demoiselles. Il boit en sa présence pour oublier ses faux gestes que son entourage perçoit comme une réalité. Igor a une femme et deux enfants, point. Tout le reste on y pense pas. Les Hommes veulent des points dans toute leur vie. Des prisons. Des barrières. Une femme et deux enfants, point. Le reste on y pense pas. L'entourage nous perçoit comme si notre réalité est un espace figé. Le réel veut qu'on soit une demeure, une forteresse mais toute notre existence s'agite comme une fiction. On triche avec soi-même. Nos amis nous mentent, nous font des coups tordus à chaque occasion si bien que la sincérité devient un obstacle à une vie paisible. Igor ne se doute même pas de sa supercherie. Il croit être maitre de ses émotions. En payant il croit avoir un levier, une boussole sur la tenue de ses actes mais tout lui échappe comme un rêve. La vitalité de l'acte sexuel le conduit au sixième étage d'une chambre de bonne. Le frigo n'est pas bien garni. A Paris on mange dehors. Les murs sont presque vierges. Une photo accrochée. Un pot de fleur. Un téléphone fixe. L'identité de Manuela est sans traces. Igor s'est-il déjà demandé si elle avait des enfants. Son passé aurait peut-être plus d'importance que toutes ces étreintes superficielles. Mais qui s'intéresse vraiment au passé d'une pute. On les traverse comme une autoroute. Sans donner nos visages. Le tout avec préservatif et le consentement des laboratoires pharmaceutiques. Ils se traversent et acceptent sans amour le lot de cocasserie charnelles de la vie. Il suffit d'en payer le prix !


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