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On a dépassé les limites sur la route

Publié le 15 mai 2011 par Copeau @Contrepoints
On a dépassé les limites sur la route

Foret de panneaux

Par Stéphane Geyres

Je suis un danger public. Il paraît même que je suis un criminel. Et pourtant, je n’ai tué personne. Je ne respecte pas religieusement le code de la route. Ah bon, vous non plus ?

Je ne mets que rarement mon clignotant, ignore la plupart des panneaux, ne m’arrête pas toujours aux stops et ma vitesse n’est limitée que par ma voiture – mais je respecte les feux rouges, c’est trop dangereux – Ah bon, vous aussi ? Le plus fort, c’est que je n’ai jamais eu d’accident – attendez, je mens, une fois, c’est un inspecteur de police qui m’est rentré dedans alors que j’étais arrêté – véridique, mais je vous rassure, c’est bien moi qui ai eu tous les torts…

Je ne sais pas chez vous, mais nous ici sur Toulouse et sa banlieue, les « aménagements » de la voie « publique » poussent avec une vigueur peu commune – sans doute pour réduire nos impôts – à croire que le printemps et le changement cliiiimatiiique servent d’engrais aux forêts de panneaux, feux, bornes, jalons, dos-d’âne, chicanes, ronds-points et autres voies réservées sortis gaillardement de l’asphalte ces derniers temps. Mon petit doigt me dit que la saison leur est tout aussi propice dans vos différentes régions, je me trompe ?  Surtout vu les dernières poussées de fièvre législative…

Le Code de la Route est une de mes Bibles, vous l’aurez compris. J’en relis spasmodiquement – j’ai failli écrire « psalmodiquement » – un verset chaque matin que Nicolas fait, en le trempant dans mon café – le code.   Ma fille aînée a eu son permis en deux ans et demi environ, la seconde affronte la galère du code avec appréhension. Pour ma part, il a suffit de deux semaines. Pas tant que je sois meilleur que mes filles, mais à l’époque, pas besoin de 3 000 Km de conduite accompagnée pour être lâché dans la jungle impitoyable du trafic routier – « trafic,» quel beau mot, qui sens la fumée et les chemins de traverse…

Mais à quoi sert donc le code de la route ? La vidéo ci-contre (http://jeffnolan.com/wp/2010/03/27/1906-cable-car-video/) est extraordinaire, elle est même impensable pour un occidental « moderne,» même si quiconque a un peu voyagé sait bien que cela correspond à la vrai vie un peu partout « ailleurs » : elle montre le trafic vu d’un tramway de San Francisco, un « cable car » en 1906 en pleine Market Street, la grand rue du centre. Pendant 7mn, piétons, voitures, tramways, charrettes , vélos se croisent et s’entrecroisent, traversent et dépassent soudainement, mais pas un seul accrochage, pas un seul incident. Tout le monde se faufile en veillant à ne pas écraser son prochain – et pourtant, ce sont de méchants amerloques. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il n’y a aucun panneau, aucune forme de signalisation. Rien. Alors, le code, pourquoi faire ?

Sans aller chercher 1906, qui a voyagé au tiers monde sait bien que la réalité circulatoire est bien moins contrainte, sans pour autant notablement plus de morts sur les routes : voici un exemple en Inde, mais on pourrait en trouver des dizaines d’autres : http://www.koreus.com/video/inde-circulation.html Notez bien : aucun panneau, seule règle, le côté de la route où circuler.

Par contre, on peut trouver tout aussi facilement des exemples de routes ou intersections, avec force panneaux et feux rouges, conçues par quelque déjanté des sévices publics, qui sont plus dangereuses que notre fameuse place de l’étoile : à St Petersbourg par exemple : http://www.koreus.com/video/carrefour-russie.html

Imaginons un instant une route ou une autoroute sans aucun panneau, aucune marque au sol. Rien. Juste la règle de rouler à droite quand on se croise, et de laisser la priorité à droite en cas de doute. Vous avez déjà roulé en Afrique ? Les images du Paris Dakar le montrent pourtant, ce n’est pas la signalisation qui gêne la circulation…   Ahh oui mais j’entends déjà, le trafic n’est pas le même. Oui c’est vrai, mais les routes non plus. Et pourtant, la caravane passe, à l’heure où nos infos quotidiennes sont envahies du moindre fait-divers à l’autre bout du monde, on ne semble pas nous marteler de la foule de massacres routiers que tout cela supposerait.

Beaucoup croient que ce qui est en jeu, c’est de réduire la mortalité en réduisant le risque sur route, grâce au code et aux limitations, justement. Mais en fait là ne sont pas les enjeux, en supposant même une quelconque efficacité, illusoire. Dans son immense livre « Libéralisme,» Pascal Salin consacre tout un chapitre à la soi-disant sécurité routière. On y trouve de nombreuses phrase frappées du coin du bon sens, comme dans tout le livre. Par exemple, « de nos jours, participer à la circulation consiste à participer à un jeu de poker, le conducteur devant s’efforcer de déjouer les ruses des gendarmes chargés de le punir… » Et surtout, du point de vue d’un libéral pour lequel la liberté est sacro-sainte est doit être respectée *par principe*, il rappelle qu’en « sanctionnant l’excès de vitesse, défini par rapport aux normes officielles, au moyen d’une amende ou d’un retrait de permis de conduire, on ne punit pas un acte coupable (ni même dangereux), on punit le non-respect d’un acte formel.»  Là est la question du code de la route et des limitations de vitesse : punir sans discernement, pour la forme.

J’ai été d’ailleurs surpris il y a quelques jours d’une conversation avec un ami indubitablement libéral qui pourtant était favorable aux nouvelles menaces législatives – radars et autres limites de vitesses. Selon lui, on aurait « le droit de prendre des risques pour soi même, mais pas pour les autres ; quand on conduit à 200 km/h sur une route en risquant de percuter un véhicule on constitue un risque pour cette personne ; il n’est point besoin d’avoir l’intention de nuire, il suffit de constituer une menace objective envers la sécurité d’autrui.»

Pour la liberté, pour éviter que l’appareil coercitif n’entre peu à peu dans toutes les facettes de notre vie, il ne peut avoir raison, c’est une question de principe. A l’inverse du principe de précaution, il faut revenir et garder farouchement le principe de non-immixtion dans le risque individuel. Mon interlocuteur confond risque et menace et croit qu’il existe un risque objectif. Et le code de la route exploite cette confusion pour nous faire croire qu’il réduit notre risque par la conformité au code. Mais il n’en est rien.

Qu’est-ce donc que le risque ? Sans faire un cours, disons que selon les normes internationales (ISO 73), le risque est « l’effet de l’incertitude sur [ses propres] objectifs.» Le risque est donc bien évidemment en partie déterminé par « l’effet,» les conséquences possibles, ici l’accident. Mais comment apprécier l’incertitude ? Est-ce la même pour tout le monde ? Et surtout, comment la mettre en équilibre face aux objectifs, ces objectifs qui ne sont jamais collectifs, mais clairement individuels ? Ai-je droit à plus de risque si mes objectifs sont « purs » ? Si je me dépêchais pour aller voir mon percepteur et qu’un policier m’arrête, puis-je demander un crédit d’impôt pour compenser le temps perdu ?

Le risque est donc une perception personnelle. Mon risque n’est jamais le tien. La où je vois un risque, d’autres verront une chance, une occasion. Sur la route aussi, celui qui va plus vite accélère peut-être parce qu’il sait qu’il doit aller tenter de sauver une vie ailleurs, ou simplement nourrir la planète. Doit-on le ralentir ? Le gendarme en a-t-il le droit ?  Laisser le gendarme aller sur ce terrain, c’est lui ouvrir les portes de chaque décision à chaque instant de la vie. Le risque doit donc toujours être laissé à l’appréciation de chaque individu et ne jamais être un prétexte à l’intervention de l’état ni de la réglementation étatique. Vivre c’est prendre des risques, la notion de risque est totalement subjective, il faut qu’elle le demeure.

Sur l’exemple de mon ami libéral, ce qui ferait basculer dans le champ du crime et donc de la juste sanction, c’est que le risque du « chauffard » (terme vague s’il en est) devienne une menace non pas « objective » mais réelle, c’est-à-dire qu’il y ait intention de nuire, voire agression effective. Mais sans menace ni agression, le droit n’a rien à dire. Le moindre risque qu’on laisse ouvert à l’état et demain notre liberté n’existe plus. C’est comme cela, notamment, que la tyrannie se met en place.

J’ai bien dit le droit, la morale ou l’opinion quant à elles ont certainement des choses à dire, bien sûr. Il peut-être mal vu de rouler « trop » ou « très » vite, cela peut générer une peur pour certains, mais au contraire peut produire une attraction pour d’autres. Une (bonne) réponse libérale, ce serait de donner le libre choix, typiquement via des (auto)routes (privées) où il y aurait ici limite à 100, là à 130, ailleurs encore à 200 et certaines sans limitation aucune. Mais tant qu’il n’y a pas plus que de la peur, le droit et la répression ne doivent pas s’en mêler.

La confusion entre droit et morale s’exprime aussi lorsque certains affirment que « certains individus » auraient un « comportement à l’impact négatif envers les autres.» Qui peut donc se permettre de juger de cela avec assez d’objectivité ? Comment par exemple être 100% sûr que les accidents ne sont pas dus à l’état de la route, à l’alcool, au sommeil, ou au pur hasard ? Il faut pour un libéral apprendre à se méfier des jugements hâtifs qui servent de prétexte pour asservir un peu plus les gens innocents.

D’un point de vue social, sait-on dire si réduire à ce prix là le nombre d’accidents est un objectif plus important que de permettre à des milliers de gens, qui bien que « roulant vite » n’ont pas d’accident, de gagner du temps et donc de contribuer plus ou mieux à la vie économique et sociale ? Si personne ne sait répondre, je préfère que personne ne tranche, à commencer par l’état.

D’autres encore pensent, ou plutôt croient, que je suis seul contre tous et que de ce fait j’ai forcément tort. Des dizaines d’études sont supposées montrer combien la vitesse est dangereuse, c’est donc indiscutablement le cas. Un interlocuteur me jetais ainsi à la figure : « Rien ne pourra te faire changer d’avis (ce en quoi il a probablement raison). Pas même la masse d’études statistiques qui concluent que la vitesse est le facteur principal dans la cause des fatalités sur la route. Bien sûr que les ‘pouvoirs publics’ collectionnent ces études et les analysent pour prendre des décisions.» Voici  un extrait qu’il me propose, grandiose, supposé tiré d’une « étude sérieuse évaluée par les pairs » : « La probabilité d’accident avec blessures est proportionnelle au carré de la vitesse. La probabilité d’accident grave est proportionnelle au cube de la vitesse. La probabilité d’accident mortel équivaut à la vitesse à la puissance 4.»

Comme Dame Nature est bien faite quand même ! La probabilité de tous ces événements ne dépendrait que de la vitesse et cette dépendance serait d’une beauté algébrique (à brac) digne d’un deux, trois, quatre ! Comment peut-on être assez nias ou naïf pour croire de telle balivernes. Par exemple, pour n’aborder qu’un aspect de la stupidité de telles affirmations, prenons le problème des bornes (normal pour une histoire de bagnole). Rappelons qu’une probabilité varie entre 0 et 1, par définition, 1 représentant la certitude, 0 l’improbable absolu. Une vitesse par contre, surtout celle d’un chauffard, varie entre 0 et…. ben mince, elle n’a pas de limite supérieure !? Ah pardon, ce n’est pas ce qu’il fallait comprendre, qui est plutôt que lorsqu’on roule 2 fois plus vite, on a 2 puissance 4 soit 16 fois plus de chances (!) d’avoir un accident mortel, voyons ! Et ça ne dépend pas de ma voiture, de la météo ni de l’entretien ? Pourtant mon constructeur m’a dit qu’avec l’airbag je suis en sécurité…  Bref, j’arrête là pour le ridicule de ce  genre de théories propagandistes.

Tous ces éléments vont dans le même sens : le code de la route ne sert à rien du point de vue de la sécurité routière – pas plus que sa fille illégitime la limitation de vitesse. Par contre, il est une excellente source de taxes – euh pardon, d’amendes – pour l’état et une source de promotion des politiciens, toujours fiers d’avoir pu laisser leur nom à la postérité via des textes inutiles.


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