Après un mois d'avril qui fut très américain, My Télé is Rich! est reparti en voyage sur le continent européen. Si l'apprentissage du danois était au programme de jeudi dernier avec Borgen, aujourd'hui signe le retour à des fictions plus accessibles linguistiquement, puisqu'anglophones. Sauf que, non, ce n'est pas au Royaume-Uni que l'on va poser nos valises... mais en Irlande. L'an dernier, souvenez-vous, on avait commencé l'exploration de ce pays avec une co-production Father & Son, poussons donc plus avant la découverte, avec un bilan de la première saison de Love / Hate, qui nous entraîne d'ailleurs dans ce même milieu des gangs.
Autant vous rassurez tout de suite, le téléspectateur s'installant devant le pilote de cette série, loin d'être dépaysé un seul instant, sera même plutôt agréablement surpris côté casting. En effet, on retrouve en têtes d'affiche rien moins qu'Aidan Gillen, Ruth Negga et Robert Sheehan. Diffusée à l'automne 2010 sur la chaîne publique RTÉ One, cette première saison comporte en tout 4 épisodes. Une saison 2 a d'ores et déjà été commandée et est actuellement en cours de tournage.
Le pilote de Love/Hate s'ouvre sur ce qui s'annonce a priori comme un évènement à célébrer, la sortie de prison d'un jeune homme, Robbie, après une brève peine purgée. Une sortie qui coïncide avec le retour en Irlande de son frère Darren, après un départ précipité en Espagne où il a tenté de s'y faire oublier après une affaire de port d'arme illégal. Les deux jeunes gens ont hâte de se retrouver et de revoir leur cercle de proches, et tout particulièrement leur soeur, Mary. Cette dernière entretient d'ailleurs une relation avec un autre de leurs amis, Tommy, lequel en oublie de passer prendre Robbie à l'heure à sa libération.
Alors qu'il patiente à cause de ce retardataire, discutant au téléphone avec son frère, Robbie est brutalement abattu en pleine rue, dans ce qui ressemble fort à une exécution conduite par une bande rivale. Ce sont finalement ses funérailles qui vont permettre à toute la bande de se reformer, sous les directives de ce chef de gang toujours aussi ambitieux qu'est John Boy. Si Darren n'entend pas laisser ce crime impuni, d'autres pans de sa vie le rattrapent également alors qu'il retrouve son ancienne petite amie abandonnée dans la précipitation de son départ pour l'Espagne.
Sur fond de désir de vengeance au nom de Robbie, cette première saison va mêler amour et haine, rivalités entre gangs et jalousie, pour entraîner les différents protagonistes dans des confrontations où la tragédie peut frapper à tout moment.
Love/Hate s'inscrit dans un registre traditionnel, entremêlant histoires de gangs et de famille pour déboucher sur un cocktail aux accents forcément dramatiques. Par certains côtés, l'histoire peut sans doute être rapprochée d'une série comme The Black Donnellys. De trafics de drogue en port d'arme illégal, en passant par quelques passages à tabac en règle et soirées bien arrosées (voire plus), Love/Hate remplit un cahier des charges classique pour dresser un tableau attendu dans ce type de fiction. Cependant, sachant évitant les excès, la série opte pour une sobriété bienvenue. Il y a quelque chose qui sonne juste dans la façon dont les statuts de tous les personnages sont posés. Nous sommes face à des délinquants de bas étage, à l'exception notable de John Boy. Réagissant de manière impulsive, ils sont surtout habitués à vivoter sans ambition véritable. Seul petit reproche : il manque sans doute une photographie plus large du milieu des gangs pour parachever cette recherche d'un certain réalisme, les personnages semblant parfois un peu trop déconnectés de ce cercle au-delà de John Boy.
En fait, Love/Hate ne se départit jamais d'une certaine forme de romantisme dans son approche des personnages principaux, assez loin de la façon autrement plus directe (et "coup de poing") qu'avait pu proposer Father & Son. Cela n'est pas un reproche, car ce parti pris narratif permet en même temps à la série de s'imposer dans un registre très humain. Comment ne pas s'attacher quasi instantanément à ces personnages un peu écorchés qui sont ainsi mis en scène ? Avec habileté, la série cultive une intensité émotionnelle, parfois un peu naïve, mais qui ne saurait laisser insensible. Le pilote est à ce titre très réussi, de l'exécution de Robbie aux funérailles qui sont l'occasion pour chacun de se manifester et de se positionner sur cet échiquier du "milieu local" : il propose une galerie complète de toutes les relations, mais aussi de toutes les confrontations déjà en germe. Si la série aurait sans doute gagner à nuancer un peu plus quelques personnages secondaires, dont la présentation trop négative donne un petit parfum un peu manichéen par instant, les principaux gagnent cependant en profondeur au fil de cette brève saison. L'ensemble exploite donc efficacement une dimension humaine qui est un de ses atouts principaux.
Sur la forme, Love/Hate est une série qui soigne son dynamisme. Dotée d'une réalisation nerveuse, cette dernière reflète bien la tension ambiante. Appréciant les plans serrés, mettant en valeur le ressenti des personnages, les images proposent des teintes aux couleurs plutôt froides, mais classieuses. Par ailleurs, la série bénéficie également d'une bande-son tout aussi rythmée. Cela aide à renforcer la tonalité générale, même si elle cède cependant parfois à la facilité, ayant tendance à donner lieu à quelques écarts "clipesques" un peu longuets censés insister sur l'ambiance festive dans certains épisodes.
Enfin, - et c'est incontestablement un de ses arguments forts - Love/Hate bénéficie d'une galerie d'acteurs attachants qui délivrent des performances solides. Parmi les têtes familières des sériephiles, en personnage très intense, cherchant à venger la mort de son frère, il est impossible de rester insensible à Robert Sheehan, qui s'impose avec beaucoup de charme de manière convaincante dans un registre assez différent de son rôle dans Misfits. Notons aussi pour les amateurs de cette même série la présence de Ruth Negga (The Nativity, Criminal Justice, Personal Affairs). A leurs côtés, on retrouve également un Aidan Gillen (Queer as Folk, The Wire, Game of Thrones) impeccable en chef de gang ambitieux caressant ses rêves de grandeur. Parmi les autres acteurs, signalons aussi la présence de Tom Vaughan-Lawlor, Killian Scott, Ruth Bradley, Brian Gleeson ou encore Laurence Kinlan.
Bilan : Love/Hate s'exprime pleinement dans ce qui s'apparente plutôt à des tragédies humaines, mêlant de façon explosive, loyautés familiales, ambitions personnelles et sentiments flirtant parfois avec une jalousie mal contenue. Si les ficelles narratives sont classiques et que le milieu des gangsters, toile de fond opportune, reste traité de façon un peu trop superficielle pour être pleinement satisfaisante, cette saison 1 se révèle pourtant également extrêmement attachante tout en restant très prenante, fidélisant quasi instantanément le téléspectateur. Une découverte sympathique.
NOTE : 6,75/10
La bande-annonce de la série :