L’Agence France Trésor (AFT), donc, est une agence gouvernementale française dont le métier consiste à gérer la dette et la trésorerie de l’État [1] – à laquelle monsieur Dupont-Aignan reproche d’être conseillée (pas dirigée) par un comité stratégique « composé de banquiers internationaux qui en sont aussi les bénéficiaires ». Traduction : l’AFT, dont le métier consiste à emprunter de l’argent sur les marchés financiers pour le compte de l’État, est (plus ou moins) dirigée par des banquiers privés (apatrides et avides de profits comme il se doit) qui ont tout intérêt à nous faire payer le plus possible d’intérêts puisque ce sont leurs banques qui achètent la dette de l’État. D’où l’« énorme conflit d’intérêt », d’où le scandale.
Le comité stratégique existe bel est bien et il n’a effectivement qu’un rôle de conseil – l’AFT étant, bien évidemment, dirigée par des représentant de l’État à commencer par monsieur Philippe Mills, son directeur général et monsieur Anthony Requin [2], son adjoint. Par ailleurs, le comité stratégique est composé de dix membres [2] parmi lesquels seuls deux correspondent vaguement à ce que monsieur Dupont-Aignan appelle des « banquiers internationaux » – messieurs de Larosière (ancien gouverneur de la Banque de France et conseiller du président BNP Paribas) et Hau (membre du directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild) – à moins que l’on ne considère BlackRock (qui est une société de gestion), la Banque nationale suisse (qui est la banque centrale de nos voisins helvètes) et la BEI (qui est un organisme public de l’Union Européenne) comme des « banques internationales » ; ce qui élèverait – en tirant bien par les cheveux – la proportion de « banquiers internationaux » à cinquante pour cent de l’effectif. Passons…
Pour illustrer le scandale de ce « racket de la richesse nationale », monsieur Dupont-Aignan affirme que « la Banque centrale européenne prête aux banques au taux de 1%, et celles-ci prêtent à la France à 3% ». Il faudrait un livre d’introduction à l’économie pour expliquer à quel point cette affirmation est ridicule mais restons simples : 1%, c’est le taux que payent les banques commerciales à la BCE pour des emprunts sur une journée (c’est un taux « au jour-le-jour ») et 3%, c’est le taux que paye l’État pour des emprunts à dix ans. Avec un minimum de culture économique – et j’admets ici que c’est un problème de culture économique –, monsieur Dupont-Aignan aurait certainement cherché à comparer des choses plus comparables : par exemple, pas plus tard que le 9 mai 2011, alors que le « taux refi » de la BCE (c’est-à-dire le taux auquel les banques commerciales empruntent de l’argent à la BCE) était à 1,25%, l’AFT a emprunté €4 milliards sur 3 mois à un taux de… 1,02% ; soit 0,23% de moins [4].
Rajoutons que la dette de l’État français est majoritairement détenue par des compagnies d’assurance, des fonds d’investissement ou des organismes de retraite c’est-à-dire – in fine – par d’honnêtes gens qui ont placé les économies d’une vie de travail dans des contrats d’assurance-vie, des OPCVMs ou des plans de retraite complémentaire. Les banques ne détiennent vraisemblablement pas beaucoup plus d’un dixième de notre dette publique et – mieux encore – ne le font que parce que la réglementation bancaire les y incite fortement ! C’est une simple question de bon sens : quel intérêt pourrait bien avoir une banque à prêter de l’argent à un État qui, par nature, se finance moins cher qu’elle si on ne l’y a pas incité par voie réglementaire ?
Enfin, juste pour le principe, cette accusation portée contre les instigateurs de cette fameuse loi de 1973 – aussi connue chez ses détracteurs sous le nom de « loi Rothschild » [5] – relève non seulement de l’analphabétisme économique mais surtout du procès d’intention le plus abject. Cette petite théorie complotiste que monsieur Dupont-Aignan a découvert sur Internet dégage un fumet nauséabond qui n’est pas sans rappeler une époque où l’on tenait le même genre de discours en marchant au pas, le bras tendu bien haut. Puis-je suggérer à monsieur Dupont-Aignan de mieux sélectionner ses sources à l’avenir et, par la même occasion, de se fendre d’une lettre d’excuses adressée à l’équipe de l’AFT ?
Cette loi de 1973, votée sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, est un des rares garde-fous qui nous restent pour empêcher des politiciens incompétents de financer leurs lubies en dévaluant massivement la valeur de nos économies et le niveau de nos salaires réels. Depuis quand les politiciens sont-ils plus compétents que les gens dont c’est le métier – et par ailleurs l’intérêt bien compris – pour savoir combien et où investir ? Qui peut être assez naïf pour croire qu’il suffit de faire « tourner la planche à billets » pour créer de véritables richesses ? À combien d’expériences désastreuses – comme celle de la république de Weimar en 1923 ou les imbécilités de Robert Mugabe plus récemment – faudra-t-il que nous assistions pour comprendre que la création de richesse, l’innovation et – finalement – le bien être des gens ne se planifie pas ? La proposition de Nicolas Dupont-Aignan représente bien le même genre d’alternatives que celles de Marine le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon : le suicide collectif.
Notes :
[1] Ce que monsieur Dupont-Aignan appelle improprement « la dette de la France » ; tombant ainsi dans le vieux travers socialiste qui consiste à confondre la société et l’État.
[2] Ca ne s’invente pas !
[3] Donc vous trouverez la liste ici.
[4] Si, comme Nicolas Dupont-Aignan, vous avez internet chez vous : vous pouvez vérifier.
[5] Georges Pompidou fut directeur général de la Banque Rothschild ; il est donc ici accusé d’avoir « vendu » notre intérêt national à une banque… Sans commentaire.