Il est vraiment très fort. Toute la semaine, Nicolas Sarkozy, avec l'aide de ses communicants, nous a gentiment fait croire que Laurent Wauquiez avait commis une belle bourde en traitant l'assistanat (et le RSA) de « cancer » de la société. La mise en scène fut parfaite.
Laurent Wauquiez avait cru bien faire en annonçant le dépôt prochain d'un projet de loi pour plafonner les minimas sociaux par foyer, imposer 5 heures de travail forcé social hebdomadaire aux bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active et réserver le bénéfice de l'assurance sociale aux étrangers justifiant 5 ans ou plus de travail en France (tout en taxant leurs revenus au bout de 4 mois de résidence !).
Les critiques de surface
Dès lundi, on a pu entendre, lire ou voir les grands ténors de Sarkofrance s'indigner de cette sortie. Roselyne Bachelot puis Martin Hirsch, l'ancien collègue. Marc-Philippe Daubresse (*) a parlé d'irresponsabilité. Mardi matin, Fillon attaque : « nous ne devons pas jeter le discrédit sur la réforme du RSA ». Jean-François Lamour qualifie l'opération de « ratée ».
Wauquiez sème le trouble. Jeudi soir, François Fillon en personne s'est déplacé sur TF1 pour recadrer le trublion. Wauquiez venait de récidiver, dans les colonnes du Progrès.
La réaction tardive de Sarkozy
Nicolas Sarkozy ne réagit pas. En d'autres occasions, il a très bien su profiter d'une prise de parole prévue de longue date pour partager son agacement ou son émotion. Rappelez vous l'affaire de Pornic, qui fit l'ouverture d'un discours sur la politique industrielle de la France devant des ouvriers à Saint-Nazaire en janvier dernier.
Il fallut attendre mercredi matin, et le conseil des ministres. François Baroin, le fidèle porte-parole du gouvernement, livre la parole présidentielle aux médias impatients. Sarkozy critique à mots couverts et tout en sous-entendus l'intervention de son jeune ministre. Le Monarque défend le RSA, « un bouclier social, un instrument de la lutte contre la pauvreté », et réaffirme «l'absolue priorité de rassembler la société et de ne pas pousser les divisions dans la société»
Un peu plus tard dans la journée, un proche du Monarque confie, sous le sceau de l'anonymat, que « Wauquiez a été à deux doigts d'être viré ». La critique porte sur la forme de l'intervention, pas sur le fond : « Ce n'est pas parce qu'on est le plus diplômé qu'on comprend tout! La preuve: on ne va pas à la télé juste parce qu'on a eu au téléphone un conseiller de l'Elysée ou de Matignon, sans faire valider ses propos par le Premier ministre et par son ministre de tutelle ». Mais, ajoute-t-il « ce qu'a dit Wauquiez sur le fond n'est pas absurde ».
L'interview qui enfonce
« Je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Laurent Wauquiez n'a pas le sens de la formule. Il est obligé de répéter un vieux slogan de Jean-Marie Le Pen des années 80. Jeudi 12 mai, il enfonce donc le clou, dans une interview au quotidien local le Progrès. Malgré les critiques de son propre camp. Il est rassuré. L'Elysée, au fond, le soutient.
« Il y a évidemment des gens en grande difficulté qui ont à peine 700€ pour vivre mais il y a aussi des cas où l’on a ainsi des revenus plus élevés que le SMIC. Ce n’est pas normal de gagner plus sans travailler qu’en travaillant. » Mais, s'excuse-t-il : «Ce ne sont pas les gens qui abusent, c'est notre système qui n'est pas suffisamment juste». Ben oui !
Le sondage qui va bien
Vendredi 13 mai (sic!), le Figaro a un sondage réalisé par Opinion Way mercredi et jeudi : « Une majorité de Français pour une contrepartie au RSA. » titrait le quotidien officiel. Et dans le corps de l'article, on découvre que « 65 % des personnes interrogées, toutes tendances confondues, estiment qu'il faut «plafonner le cumul de tous les minima sociaux à 75 % du smic». La proposition recueille l'adhésion de 83 % des sympathisants de l'UMP, mais 55 % de ceux du PS l'approuvent également, ainsi que 74 % de ceux de l'extrême gauche. » Judith Waintraub, l'auteure deu commentaire, s'enthousiasme : « Un vrai plébiscite, qui transcende largement les clivages partisans. ».
Dans le détail, l'institut rappelle, comme toujours, que la marge d'erreur est de 2 à 3 points au plus pour un échantillon de 1000 répondants. Ce sondage a été réalisé auprès de ... 991 adultes, par question auto-administré sur ordinateur (Computer Assisted Web Interview).
Il faut aussi lire le questionnaire pour comprendre la manipulation. Tous les sondeurs le savent, les réponses varient en fonction de la contextualisation apportée, ou non, à la question. « Faut-il selon vous imposer des contreparties aux bénéficiaires du RSA (Revenu de Solidarité Active) ? » Nulle part n'est mentionné que le RSA n'est pas donné comme ça : les justificatifs à fournir sont nombreux, et les aides ou revenus connexes sont déduits de son (maigre) montant (460 euros par mois).
La plus polémique, « Pensez-vous qu'il faut plafonner le cumul de tous les minima sociaux à 75% du SMIC ? », génère 33% d'adhésion forte (« oui, tout à fait »), et 32% d'adhésion modérée (« Oui, plutôt »). Sur ce point précis, Opinion Way ne prend même pas la peine de corriger (ou clarifier) la bêtise de Wauquiez : les minimas sociaux . On a déjà, depuis dimanche dernier, expliqué et détaillé comment les minimas sociaux ne se cumulent pas comme cela. Mais pour OpinionWay, qu'importe ! Un sondeur sonde, même les bêtises !
Et pour finir
En fin de semaine, tout le monde s'est calmé. Wauquiez publie un communiqué reconnaissant les vertus du RSA : «L'insuffisante valorisation du travail est un problème majeur pour la France. Le RSA a amélioré les choses, mais on peut améliorer le RSA». Bachelot promet de simplifier le dispositif prétendument « horriblement complexe ». Fillon annonce que l'UMP parlera de tout cela lors de sa convention sociale le 8 juin prochain. Convention sociale ? Le bilan social de l'UMP est bien modeste : un RSA qui n'est qu'un RMI nouvelle formule et... une prime de 1.000 euros facultative mais défiscalisée pour 8% des Français...
Nicolas Sarkozy joue donc sur deux tableaux. Ce n'est pas nouveau. L'homme est moins actif, plus fatigué, moins imaginatif. Mais il conserve ses habitudes. Il adore laisser les polémiques se développer, voir les provoquer, pour mieux agiter, inquiéter ou divertir. Pendant la préparation de la réforme des retraites, nous avions eu droit à ce pas de deux systématique, avec ces propositions fuitées dans la presse mais démenties officiellement.
Avec Wauquiez, ses remontrances furent aussi modestes que ses ambitions sociales.