Bien des gens, moi le premier, ne veulent rien entendre du procès de Guy Turcotte, ce cardiologue qui a éventré ses enfants afin de se libérer de sa douleur et de l'imposer à sa femme et à son nouvel amant.
Et pourtant, tel une bagarre au hockey, on ne détourne pas facilement les yeux. On est même sombrement attiré par la chose. On tend l'oeil, l'oreille.
Pour ma part, outre cette fois où j'ai fermé la télévision car les larmes me perlaient sur les joues à la confirmation de ce que j'avais cru comprendre (Ces enfants qui hurlaient "Non papa!" et qui s'entendaient mourir l'un et l'autre...) je lis pas mal toujours sur le sujet.
Il y a fascination parce qu'on s'y reconnaît affreusement. Et comme un film d'horreur qu'on voudrait revisiter, on se pose l'horrible question "aurais-je pu?...".
Heureusement non.
Mais j'ai comme l'impression que Guy Turcotte, deux mois avant les affreux évènements qui scelleront le reste de ses jours, aurait répondu la même chose à cette question. "Tuer mes enfants? jamais."
On a tous vécu des situations de grande détresse. Un être aimé qui nous largue et dont on trouve la décision injuste, un employeur qui ne voit pas l'étouffement qu'il impose à son employé, une situation financière qui dégénère, une trahison qui mènerait à la dérape.
Dérape en générale, contrôlée. Un mot blessant, un cri, une poussée peut-être, une baffe, une tape.
Turcotte, plus fragile, ne contrôlait plus rien le 20 février 2009.
On ne veut pas le croire mais je crains que ce potentiel de monstruosité soit dans le gris de chaque Homme. Homme avec un grand H bien que ce type d'effondrement mental soit plus fréquent chez les mâles. Et si ce type de désarroi est plus fréquent chez les mâles c'est parce qu'ils n'ont pas ce réflexe naturel de tendre la main pour demander de l'aide, de reconnaître un problème. Les hommes vivent très souvent en déni. Ils vont poser un geste brusque, une baffe, un coup de poing, un coup de volant, pour tasser avec autant de violence cette violence intérieure qui les consume.
Un homme c'est souvent platement binaire.
Ce qui est hyper dramatique dans cette histoire c'est qu'elle est arrivée à des gens qui avaient tout, en surface, pour être heureux, pour être des modèles même aux yeux de certains. Ce qui confirme aussi que la différence entre le clochard qui marche tout croche sur la rue sans tenir compte de ce qui l'entoure et l'employé modèle (mais secrètement en détresse) qui s'investit corps et âme dans son travail peut aussi n'être que visuelle.
L'errance chez le clochard est mentale et physique, celle de l'employé en détresse est surtout mentale. Elle est ensuite appliquée à une logique physique, je prends le couteau, je monte à l'étage, issue d'un blackout atroce qui peut lui faire faire à peu près n'importe quoi.
C'est là que les frissons ne sont pas bons. Font franchement peur.
J'ai eu ma part de petites déprimes depuis une semaine. Rien de grave mais de gros trous abyssales au creux de la poitrine, quelques larmes de rage aussi. Des larmes chaudes sur les joues de l'irlandais (curieusement) à jeun.
Comme a dit Duceppe cette semaine, "si tu acceptes la victoire, tu dois aussi accepter sa contrepartie". J'ai eu une succession d'échecs en 7 jours assez impressionnante.
Des jours successifs à dépenser 1000$ par jour. Des investissements forcés chaque fois. Un résultat scolaire abominable dans un cours d'informatique dans lequel je suis sous-qualifié (mais qui me coûtera 546$ no matter what). Un ordi broyé par un virus. Blogger en panne. Mon char qui me chie dans les mains. La toilette pleine qui déborde.
Moi qui dort déjà peu, j'ai collé trois nuits blanches qui ont culminé en un vendredi hyper difficile. C'était comme si sous ma paupière mon oeil refusait de ne pas voir. De ne pas tomber en Rapid Eye Movement. Je me suis levé chaque jour plus fragile que le précédent. (C'était mon châtiment pour avoir écrit "I have a fabulous life")
Chaque fois, je me suis dit "T'as pas le droit de te plaindre, y a pire. T'aurais pu tout perdre en habitant St-Jean-Sur-Le-Richilieu, t'aurais pu vivre dans un pays en guerre, t'aurais pu perdre deux de tes amours comme la famille Boisvenu...ou comme Isabelle Gaston..."
Quand j'ai perdu mon père j'ai fonctionné en mode survie pendant peut-être six mois. Ça coincidais avec un retour aux études que je n'aurai jamais pu partager avec mon père mais dont je me rappelle très peu de toute façon. Je sais que j'ai fait cette session de janvier à avril 2010, mais je n'ai que mes notes sur un bulletin pour le confirmer. Des étudiants me rapellent maintenant qu'on était dans le même cours à cette première session mais j'en ai aucun souvenir. J'étais sur le radar. Qu'ai-je fais de mai à septembre cette année-là? aucune idée. Le mariage d'un ami sinon un trou dans le CV de ma vie. Je fonctionnais mais comme animé par une moteur robotisé. Je crois aussi avoir perdu une étincelle dans l'oeil.
Comment Isabelle Gaston fait pour tenir avec bien pire à encaisser?...
Surhumain.
Tout le contraire de Turcotte qui a prouvé son animalité.
J'écoute ce qu'on me raconte de Guy Turcotte comme on goûterais une mauvaise assiette qu'on serait "forcé" de finir.
Mais je m'inspire d'Isabelle Gaston pour faire tenir l'arbre face aux tornades de nos vies.
Pour que les voix humaines soient toujours humaines
et ne soient jamais des échos du corridor de la folie.