Par Richard Lefrançois, La Tribune,
Sherbrooke peut être fière de figurer parmi les 34 villes sélectionnées dans le monde en 2005, pour participer au projet «Villes-amies des aînés» piloté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2007, le Ministère de la Famille et des Aînés donnait à son tour le coup d’envoi à son propre programme «Municipalité amie des aînés» (MADA). L’engouement du programme est tel qu’une enveloppe budgétaire de 9 millions y est consacrée sur trois ans, ce qui permet à 112 municipalités de s'engager dans cette démarche, portant le total à 177.
Ces projets, qui font boule de neige au Québec, ne sont nullement destinés à créer de nouveaux quartiers urbains à forte concentration de retraités, à l’image d’un ghetto doré comme Sun City en Arizona avec ses quelque 48 000 personnes aînées. Ils proposent plutôt de configurer l’environnement municipal actuel pour permettre aux aînés de s’épanouir pleinement, dans l’optique de la réciprocité intergénérationnelle.
À première vue, MADA se pose tel un défi supplémentaire pour les municipalités participantes déjà confrontées à un contexte économique défavorable. Mais sa concrétisation ne peut qu’être profitable considérant l’apport inestimable des aînés pour leur famille, la collectivité et l’économie en général.
Comment devenir une ville hospitalière pour les aînés?
Les mesures concrètes susceptibles de créer un cadre chaleureux et avantageux pour les aînés englobent toutes modifications pour faciliter l’accès aux édifices publics, l’ajout d’aires pour se
détendre et fraterniser, l’amélioration du transport en commun et adapté, la sécurisation permanente des lieux d’habitation et des espaces publics et la consolidation ou l’expansion des services
de proximité.
Se qualifier comme ville accueillante pour les aînés requiert aussi d’être attentif aux multiples attentes de cette catégorie de citadins et d’endosser une vision élargie du vieillissement actif. Une telle adhésion passe par l’optimisation de leur participation économique, sociale, culturelle et intellectuelle dans les secteurs vitaux de l’emploi, du bénévolat, du loisir, de l’éducation continue et de l’engagement communautaire. Il importe également d’être attractif vis-à-vis des aînés de l’extérieur envisageant de s’y installer ou d'y séjourner comme touriste.
Aussi louables soient-ils, atteindre ces buts ne peut faire l’impasse sur les efforts visant l’inclusion sociale des aînés isolés ou démunis, ni sur la lutte contre l’âgisme. Voilà qui suppose que chaque citoyen soit partie prenante du projet. Sensibiliser le public au projet est une chose, mais l’incitation à la tolérance et à une culture du civisme envers la population senior représente tout un défi.
Sherbrooke a en main les principaux atouts
Nul doute que Sherbrooke se démarque comme ville exemplaire quant aux exigences de l’OMS ou du MADA. Non seulement ses services sont-ils comparables à ceux des grandes agglomérations, mais en
plus elle offre à sa population âgée (15% de ses habitants est âgé de 65 ans et plus) un cadre de vie sécuritaire, reposant et attrayant, sans les aléas de la congestion automobile, des coûts de
stationnement exorbitants, du stress, du bruit excessif, de la pollution et de la criminalité élevée.
Les quelque 15 000 automobilistes aînés qui circulent sur le réseau routier estrien sont bien desservis, à l’instar de ceux qui empruntent les voies cyclables. Une ombre au tableau cependant : trop d’intersections routières ou de passages piétonniers demeurent dangereux, tandis que l’entretien des chaussées routières fait cruellement défaut.
Plusieurs initiatives prisées par les aînés témoignent de la détermination du milieu à épauler les aînés et à favoriser le rapprochement des générations. Mentionnons par exemple le Centre d’expertise en santé, Sherbrooke Ville en santé, le Off festival, l’Orford Express, les programmes AIDE (Actions interculturelles de développement et d’éducation) et PAIR (programme d’assistance individuelle aux personnes retraitées ou en perte d’autonomie) du Service de police ainsi que C.A.R.A (Centre d’activités récréatives pour aînés)
Mais là où Sherbrooke se distingue sans équivoque tient à la qualité de son environnement physique immédiat et à proximité, ses espaces verts, montagnes et plans d’eau qui invitent à la détente et agrémentent la pratique d’innombrables activités ludiques et sportives. Parmi les autres ressources, mentionnons l’Université du troisième âge, l’Institut universitaire de gériatrie, les conférences PropoSages, sans oublier les quelque trente clubs, associations et groupes d’entraide pour aînés.
Pour espérer intégrer le réseau érigé par l’OMS et décrocher le certificat de reconnaissance du Ministère de la famille et des aînés, Sherbrooke peut compter sur l’appui du milieu universitaire et d’une douzaine d’organismes et associations, notamment l’AQDR et la Table régionale de concertation des aînés de l’Estrie. La solidité et la compétence du partenariat sont des éléments primordiaux pour bien cibler les interventions devant permettre d’étendre la prestation de services et d’adapter adéquatement les infrastructures à la population vieillissante.
Souhaitons que les porteurs de ces projets soient aussi attentifs aux aspirations et besoins des citadins aînés d’aujourd’hui qu’à ceux de la prochaine génération. De leur côté, les élus municipaux et les gens d’affaires ont le devoir de soutenir le maillage d’initiatives audacieuses, crédibles et mobilisatrices, vouées au nouvel art de vivre dans l’urbanité, c’est-à-dire dans le respect de la diversité culturelle et générationnelle et dans un esprit d’ouverture et de solidarité.
L’épineuse question du logement
Le logement s’avère l’indicateur par excellence de l’attention portée aux aînés. Une ville amie des aînés a d’abord comme responsabilité d’éradiquer l’itinérance et de trouver des logements
convenables à ceux dans le besoin, ce qui inclut les aînés sans domicile fixe. Elle pourrait aussi attirer les entreprises spécialisées en domotique ou dans l’habitat intelligent pour les
personnes en perte d’autonomie pour y effectuer des recherches et y installer leurs quartiers.
Mais c’est surtout le mode résidentiel qui est à repenser, sachant que les futures générations de retraités seront soucieuses de la qualité de leur cadre physique et social immédiat. Les mentalités évoluent rapidement comme en fait foi le déploiement des habitations bigénérationnelles, les appartements offrant des services intégrés et les lieux de partage comme la Maison des grands-parents. L’idée demeure séduisante d’aménager des espaces de vie domiciliaire à la fois économiques et propices aux rencontres. Parmi les expériences intéressantes, notons les habitations coopératives et les maisons kangourous (p. ex. résidence hébergeant quelques personnes âgées et une famille monoparentale).
Pourquoi ne pas créer un groupe de travail mandaté pour explorer des solutions hors pistes de type intergénérationnel et écohabitat? Ce comité tiendrait avantageusement compte de la hausse galopante du coût de la vie, de l’accélération du vieillissement démographique, de l’augmentation du nombre d’aînés éprouvant des difficultés économiques et de l’épineuse problématique de l’esseulement.
C’est à la condition d’adopter et de propager une philosophie nouvelle du vivre ensemble, conjuguée à une stratégie novatrice du développement social s’inspirant de valeurs humanistes et communautaires, que l’on peut véritablement revendiquer le statut de ville amie des aînés.