Par Nicolas Marques (*)
La gestion de l’assurance chômage prête à convoitises de toutes parts. Il y a tout d’abord les pouvoirs publics, qui font des plans sur la comète depuis des années. Selon eux, l’assurance chômage, censée devenir mécaniquement excédentaire suite au vieillissement de la population, pourrait être mise à contribution pour compenser le déficit des régimes de retraite par répartition. Ce discours – qui resurgit à chaque exercice de projection de l’assurance vieillesse – repose sur un non-sens économique. Ce n’est pas parce que le nombre de départs à la retraite augmente que le nombre de chômeurs diminue. L’économie est autre chose qu’un jeu de vases communicants à somme nulle.
Au-delà de son caractère incantatoire, ce discours s’avère aussi contre-productif. Il incite en effet les partenaires sociaux à se comporter en cigales. Craignant de se faire confisquer les excédents qui apparaissent en phase de baisse du chômage, les gestionnaires de l’assurance chômage ont tendance à être plus généreux que ne le seraient des assureurs privés pouvant engranger des excédents en vue d’inévitables périodes de vaches maigres. Ils mettent à profit les embellies pour améliorer les prestations, ce qui creuse d’autant plus ses déficits en période de récession. C’est la raison pour laquelle l’UNEDIC, incapable de résorber son endettement en dépit de la baisse du chômage entre 2005 et 2008, table sur 11 milliards d’euros d’endettement fin 2011.
L’assurance chômage est aussi la victime de ceux qui ont réussi à l’instrumentaliser pour fluidifier les relations employeur-salarié. Depuis 2008, un mécanisme de rupture conventionnelle a été mis en place pour permettre des séparations à l’amiable, tout en bénéficiant d’une prise en charge de l’assurance chômage. Cette réforme, présentée comme un moyen d’éviter le recours à des subterfuges comme le licenciement pour faute arrangé, légalise en fait un dérapage. Par définition, une assurance est censée indemniser des individus lorsqu’un aléa se réalise. Or, dans le cas présent, les cotisations obligatoires des salariés sont utilisées pour financer un arrangement volontaire entre un employeur et un salarié souhaitant se séparer. L’assurance est donc détournée de sa vocation. Certains diront que c’est pour la bonne cause. Cette réforme permet de compenser l’extrême rigidité du droit social français. Mais, avec plus de 500 000 ruptures conventionnelles homologuées depuis 2008, dont 250 000 en 2010, la facture ne cesse de croître. De même qu’il apparaît à tous rétrospectivement choquant que la collectivité ait été amenée à financer des plans de départ volontaire en préretraite, il est incompréhensible que cette réforme permette à des individus de reporter le coût de leurs arrangements sur des tiers.
Il y a enfin ceux qui ont réussi à mettre à profit l’assurance chômage à des fins purement catégorielles. Les intermittents du spectacle en sont l’exemple le plus emblématique. Leur régime distribue chaque année 5 fois plus de prestations que les cotisations qu’il n’encaisse. Une anomalie qui perdure en dépit des réformes et coûte un milliard d’euros par an aux salariés du privé, contraints d’éponger leurs déficits. Pourtant, il n’y a aucune raison que les intermittents bénéficient de règles plus favorables que les salariés et fassent financer ces avantages par ces derniers. D’aucuns considèrent qu’il s’agirait d’un moyen de favoriser la création artistique française et de soutenir notre industrie du spectacle. Là encore il s’agit d’une mauvaise façon de répondre à une question. Si tant est qu’il faille aider l’industrie du spectacle, ce n’est pas à une assurance chômage obligatoire de le faire.
Les assurés, prisonniers des choix des pouvoirs publics et des partenaires sociaux, gagneraient à l’introduction d’une concurrence entre régimes d’assurance chômage. Cela leur permettrait de s’affilier en fonction de leurs priorités, des risques contre lesquels ils souhaitent se prémunir, voire de financer les avantages non accordés à certaines populations.
Texte d’opinion publié le 10 mai 2011 sur LeMonde.fr.
(*) Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.