Par David Descôteaux, de Montréal, Québec
Enfin, c’est ce qu’on souhaite. Est-ce que ça va arriver ? C’est moins sûr.
Les détaillants américains s’apprêtent à traverser la frontière pour nous envahir. C’est ce qu’annonce la firme de recherche Colliers, dans son rapport 2011 sur le commerce de détail au Canada.
Il y a quatre mois, le géant américain Target — genre de Wal-Mart en plus haut de gamme — achetait 220 magasins Zellers au pays. Wal-Mart avait amorcé la tendance en 1996, en achetant les Woolco. Mais bientôt, les Canadiens verront apparaître de nouvelles boutiques de vêtements, d’articles ménagers ou de sport. Comme les Marshall’s, J.C. Penney, Nordstrom, Topshop, J. Crew, Kohl’s et Dick’s Sporting Goods, qui prévoient tous débarquer chez nous.
On dépense, ils aiment ça
Qu’est-ce qui pousse ces détaillants à traverser la frontière ? D’abord, la possibilité d’engranger des revenus en dollar canadien, qui gagne en valeur par rapport au dollar US. Mais surtout, les consommateurs américains sont fauchés. Alors que nous, Canadiens, dépensons comme si demain n’existait pas.
En 2004, les Américains dépensaient 50% de plus, par habitant, que les Canadiens dans les commerces de détail, dit Colliers. Aujourd’hui, nous dépensons autant que les Américains. Aux États-Unis, la récession fait toujours rage. Les gens grattent leurs cennes, et les centres commerciaux se vident. Ici, nous battons des records d’endettement. Toujours prêts à dégainer une de nos huit cartes de crédit.
De là une question : les détaillants américains vont-ils être agressifs et nous offrir des rabais, ou veulent-ils seulement venir ici pour se refaire une santé ? Colliers note qu’au sud de la frontière, ces mêmes détaillants doivent offrir des « rabais de récession » aux consommateurs américains pour écouler leur marchandise. Le Canada pourrait donc être simplement perçu comme un endroit, pas trop loin, où ils pourraient continuer à vendre leur marchandise à plein prix.
Un répit au supermarché ?
C’est surtout dans l’alimentation que les Québécois peuvent profiter de l’invasion américaine. Car si nous payons cher notre épicerie, ce n’est pas seulement dû à l’explosion du prix des denrées alimentaires partout dans le monde. Selon Marchés mondiaux CIBC, en 2009, les prix dans les supermarchés québécois étaient de 5 à 15% supérieurs à ceux des magasins comparables en Ontario. Parce que le marché québécois de l’alimentation souffre d’un manque de concurrence. Ici, trois grandes entreprises, via différentes bannières, se partagent le marché : Metro, IGA-Sobeys et Loblaw-Provigo.
Mais attention : Wal-Mart veut convertir ses 54 établissements québécois en supercentres — un Wal-Mart plus grand, dans lequel on trouve de la viande, des fruits et légumes, en plus des aliments non périssables que Wal-Mart offre déjà.
Target aussi veut atterrir dans votre assiette. Il prévoit ouvrir 200 magasins au Canada d’ici 2016, selon Colliers, qui souligne aussi que Costco, déjà implantée ici, gagne tranquillement des parts de marchés dans l’alimentation.
Cette compétition va-t-elle pousser les prix alimentaires à la baisse, ou à tout le moins ralentir leur hausse ? On le souhaite. Mais gardons en tête qu’en Ontario, où Wal-Mart a implanté ses supercentres depuis 2006, les prix n’ont pas baissé tant que ça.
Enfin, si les consommateurs peuvent espérer faire des économies, les détaillants canadiens, eux, devront attacher leurs tuques. Devant l’arrivée des Américains, Colliers leur suggère de se positionner dans des niches de marchés et à des endroits qui risquent peu d’intéresser les Target de ce monde. Sinon, la meilleure stratégie sera de se mettre beau… pour se faire acheter !