Magazine Cinéma
Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : 4 Septembre / Pyramides / Opéra
D’après le livre de Katarina Mazetti
Adaptation d’Alain Ganas
Mise en scène de Panchika Velez
Avec Sophie Broustal (Daphné) et Marc Fayet (Jean)
Ma note : 8/10
L’histoire. Ils sont voisins de cimetière. Elle vient régulièrement se recueillir sur la tombe de son mari, trop tôt enlevé par un malencontreux accident de vélo. Il vient fleurir la tombe de sa mère, emportée par un cancer. Elle est bibliothécaire, ne pense que culture et ne mange que bio. Il est agriculture, élève des vaches et n’imagine pas qu’on puisse « lire de son plein gré ». Rie, a priori, ne rapproche ces deux là. Et pourtant…
Mon avis : C’est le genre de pièce sans prétention qui nous fait du bien au cœur et à l’âme…
La scène est divisée en trois. Côté jardin, on est chez elle. Côté cour, on est chez lui. Et, au milieu un élément va servir selon le moment de banc ou de lit. Et c’est tout. Pas besoin de décor chargé, ce qui est important ce sont les deux êtres qui vont nous raconter leur histoire. Daphné et Jean. Jean et Daphné… Déjà, le choix des deux comédiens est on ne peut plus juste. Autant elle est blonde, éthérée, diaphane, gracile, délicate ; autant il est brun, barbu, massif, fruste, brut de décoffrage. Tout les oppose : leur physique, leur comportement, leurs réflexions et leur mode et leur philosophie de vie.
Leur lieu de rencontre est un cimetière, ce qui n’est déjà pas banal. Elle a 38 ans, elle vient de perdre son mari. Il a 45 ans, il vient de perdre sa mère. La gestion de leur chagrin n’est pas du tout la même. Chez Daphné, on comprend vite que les regrets ne seront pas éternels. Elle porte sur sa vie de couple lénifiante un regard ironique, mordant et distancié… Jean, en revanche, est totalement désemparé. Sa mère était son pilier. Maintenant qu’elle l’a abandonné, le livrant à lui-même, il mesure l’étendue de sa solitude et de la tâche qui l’attend à la ferme.
Tour à tour ils se racontent. Ils parlent de leur vie désormais solitaire, mais pas avec la même vision des choses et non plus le même vocabulaire. Ils ne sont toutefois pas assez repliés sur eux-mêmes pour ne pas remarquer la présence de leur voisin(e) de tombe. Une présence qui les contrarie. Et puis il y a ce banc à partager qui les oblige à parfois se rapprocher. Et ça y va les observations perfides, les critiques vachardes. Ces deux là n’ont pas gardé les cochons ensemble, ils ne sont vraiment pas du même monde. Chez eux, le mot « culture » n’a pas le même sens. Son approche à elle n’est qu’intellectuelle alors que la sienne est bien plus terre-à-terre puisqu’agricole… Ce qui va nous amuser et nous passionner c’est comment ces deux individus si différents, aux antipodes l’un de l’autre, vont pouvoir soudain ressentir une attirance irrépressible.
Cette pièce pourrait être sous-titrée « La Crevette et le Forestier », surnoms dont ils affublent l’autre dans leur for intérieur. Comment la cérébrale et le pragmatique vont-ils trouver un terrain d’entente ? De quelle nature va être la passerelle qui va permettre au paysan de rejoindre l’intello ?... La pièce est construite comme un château de cartes. A la fois patiemment et tumultueusement, un édifice se construit ; évidemment fragile qui peut s'effondrer au moindre antagonisme. La simplicité de Jean, grand enfant qui ne s’emberlificote pas dans les fioritures et les ronds de jambe, va-t-elle avoir raison des réticences sociétales et olfactives de cette chochotte de Daphné ? On le devine, on le voit venir, et on s’en réjouit avec et pour eux. Leur relation prend soudain la forme exaltée des amours adolescentes. Elle en a la fraîcheur et la fougue, le désir et la maladresse. L’atmosphère se charge de sensualité sans jamais devenir impudique. Leurs élans et leurs abandons sont on ne peut plus sains et naturels. Mais si l’entente physique s'avère être une totale réussite, reste à harmoniser deux mondes que tout oppose. Il y a un sacré « choc culturel » à gérer…
Interdit d’en dévoiler plus… Nous, dans la salle, on se régale à assister à cette tendre guerre. On est avec eux, on est comme eux, on les comprend. On ne peut même pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre tant ils sont vrais. Aucun ne triche, aucun n’a le beau rôle. Quand ils tirent la couverture à eux, c'est uniquement pour couvrir leurs ébats... Ils sont banalement humains. C’est pour tout ça que l’on se sent bien avec eux. On rit (beaucoup) avec eux, on est ému (souvent) avec eux. On les aime tout simplement tels qu’ils sont.
Le mec de la tombe d’à côté est un joli « clin deuil ». C’est une ode à la vie, une délicieuse comédie fort bien écrite et remarquablement jouée. La complicité des deux comédiens est tellement évidente qu’elle renforce encore la sympathie qu’on éprouve pour eux. Ça fonctionne, ça nous va droit au cœur. On passe un très, bon moment. Je vous le dis sans concession(s).