Dans 8 jours, je participe à ma première course. 5K à travers le district financier. C’est pour une œuvre de charité (American Heart Association). J’ai dégoté quelques centaines de $ pour la cause et ameuté les potes. J’ai aussi planifié mes séances d’entrainement histoire d’être au top de ma forme le jour de la course. Je me suis même offert un nouveau short et un nouveau t-shirt. Mais ce qu’il me faudrait vraiment, c’est une nouvelle hanche. En fait, j’ai commencé à avoir un peu mal quelques jours avant mon trip sur la côte ouest. Depuis, je boite.
Fvcking Beast.
La hanche a ralenti mon programme. Juste un peu. Ce weekend, je me suis envoyé une dizaine de kilomètres. Pas facile. Entre la douleur et la foule…
C’est enfin le printemps sur Flushing Avenue. Après 7 mois de putain d’hiver. Dès les beau jours, la maigre végétation explose. Les trottoirs verdissent. La route se fait sentier. Tous les cent mètres, un arbre maladif planté dans 30cm carré de poussière émerge d’un long coma. Les branches chétives se couvrent de feuilles tranchantes. Les mauvaises herbes en mal de photosynthèse s’ouvrent un passage entre les dalles en béton, entre les fenêtres moisies des baraques abandonnées.
Tous comme les frênes puants (surnom donné à l’Ailante glanduleux – l’arbre du ghetto) plantés le long de Flushing, les athlètes du dimanche bourgeonnent. Ils étaient où, tous ces poseurs, quand le blizzard exhalait sa rage, quand jogging et patinage artistique se mariaient en un nouveau sport aussi dangereux que l’alpinisme extrême (jogging artistique ???) , quand il faisait moins 10, moins 15. Ils étaient où ? Et voilà que maintenant, au premier rayon de soleil, il me faudrait presque un permis pour parcourir MA section de Flushing.
Flushing c’est une longue avenue en ligne droite coincée entre les infâmes HLMs (Housing Projects) de Fort Greene et une zone industrielle (formerly known as Brooklyn Navy Yard) hantée par un lointain passé et un avenir plutôt morne. Flushing c’est une étroite bande de sable entre le golf d’Aden et Mogadiscio. Une crête super technique au cœur de l’Eiger. Flushing c’est une balle perdue. Battu par les vents durant l’hiver, couvert d’une poussière toxique le reste du temps, le couloir de la mort, cette section entre Navy et Hall street, c’est MON territoire. Ou du moins, je croyais.
La désolation, l’isolation, le danger imminent lié à la proximité des ‘projects’, toutes ces qualités se combinaient pour transformer ces 3 km de bitume en no-mans-land. Pas mal de voitures, certes, mais si peu de vie : Un clodo, un skateur, le cadavre d’une victime de la route (énorme raton laveur, chat de gouttière, pigeon). Des trucs comme ça. Mais pas vraiment de jogger. Juste moi, ma respiration saccadées, le pfff-pfff-pfff-pfff incessant de mes semelles contre le trottoir souillé. Et ce vent qui te pousse, te tire, t’enserre. Cette poussière qui te déchire les cornées, qui envahit ta gorge, tes poumons. Je chérissais cette solitude que m’offrait Flushing pendant ces longs mois d’hiver. Tant qu’à souffrir, autant souffrir seul.
Voilà. C’est fini. « Nos deux mains se desserrent de s’être trop serrées. La foule nous emporte chacun de nôtre côté. »
A huit jours de ma première course, j’en arrive à une conclusion plutôt déplaisante : Je vais devoir partager mes trottoirs.
Boiter en publique.