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Les descendants de Justes commémorent la Shoah

Publié le 13 mai 2011 par Ivanberaud

À l’occasion du Jour de la Shoah, le 2 mai, une vingtaine de jeunes Français sont allés en Israël pour se souvenir du courage de leurs familles.

Elles ont été honorées pour avoir sauvé des juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

C’est son arbre, celui de ses arrière-grands-parents. Sous son ombre, Marie-Alix se laisse transporter par le symbole d’une nature qui, saison après saison, perpétue le souvenir. Planté en 1979 dans le jardin des Justes, au mémorial de Yad Vashem de Jérusalem, en l’honneur de Germaine et Simone de Saint-Seine, ce caroubier est « une victoire de la vie », veut croire la jeune femme, âgée de 27 ans. Le feuillage rappelle « leur nombreuse descendance », les fruits sont « ceux du courage », les racines « se mêlent à celles de leur foi » en cette terre de Jérusalem.

Car si, durant les sombres heures de l’Occupation, ce couple d’agriculteurs poitevins a caché une famille juive dans un corps de ferme situé à moins de 300 mètres du lieu où s’étaient installés les Allemands, c’est qu’ils étaient « guidés par leurs valeurs chrétiennes », affirme cette attachée parlementaire, qui avec dix-huit autres descendants de Justes, a effectué début mai en Israël « un voyage de la mémoire », à l’occasion du Jour de la Shoah.

Lutter contre l’oubli

En ce jour où tout un pays se fige, dans le vacarme des sirènes, pour se prémunir contre l’oubli, ces jeunes gens, invités par la Fondation France-Israël, découvrent Yad Vashem et un passé qui, plus ou moins confusément, résonne en eux. C’est un wagon de la Reichsbahn posé sur des rails qui quittent la colline pour terminer dans le vide. C’est le mémorial des enfants, quelques flammes que le jeu des miroirs transforme en constellation, dans la nuit de la roche, en un écho au million et demi de vies si tôt volées. Ce sont encore, dans le musée, ces images montrant Hitler, arrogant, au pied de la Tour Eiffel, cœur d’une France qui semble avoir renoncé.

Pour Kim, cependant, le mémorial, c’est aussi et surtout le nom d’Albert Beraud, ajouté en 2008 à la longue liste des Justes parmi les nations. « Le voir gravé dans la pierre rend pour moi plus concrète l’histoire de cet arrière-grand-père que je n’ai pas connu », confie la jeune femme. Kim garde en tête une photographie « impressionnante, presque intimidante », prise en 1944. On le voit aux côtés du général de Gaulle, un bandeau recouvrant son œil perdu dans les tranchées de la Grande Guerre. En 1942, celui qui allait être maire de Chabanais (Charente), a fait franchir la ligne de démarcation à deux petites filles juives, Mina et Nelee, en les faisant passer pour ses propres enfants.

Un épisode que l’une d’elles, partie vivre aux États-Unis, a choisi de retracer dans un film et que Kim se promet de raconter à ses élèves, quand elle aura réussi le concours de professeur des écoles : « J’ai envie de leur apprendre ce qu’est un Juste, de réfléchir avec eux à ce que cela signifie d’être juste, aux actes que l’on peut soi-même accomplir par humanisme. »

Porteurs de valeurs

Comme elle, la plupart des petits-enfants et arrière-petits-enfants de Justes se sentent porteurs de valeurs, comme investis d’une mission, alors que s’éteignent peu à peu les témoins de la Seconde Guerre mondiale. « Mon grand-oncle travaillait à la préfecture de police de Paris, relate Carole, elle-même policière à Carcassone. Informé qu’une rafle allait se dérouler, il a tenté de prévenir ses voisins juifs, qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir. Alors, il s’est lui-même posté à l’entrée et a indiqué aux hommes venus les arrêter que l’immeuble avait déjà été fouillé. Puis il a permis aux Zlotnick de se réfugier chez plusieurs de ses proches, à Arzens. Tout le village savait mais s’est tu. »

C’est dans cette petite commune de l’Aude qu’a eu lieu l’an dernier une cérémonie de remise, à titre posthume, du diplôme et de la médaille de Juste à cinq membres de la famille, cérémonie pendant laquelle Carole a prononcé un discours empreint de fierté et de reconnaissance. « Peu avant sa mort, j’avais convaincu ma grand-mère de me raconter cette histoire, se souvient la jeune femme. Elle n’y voyait aucun héroïsme. À l’entendre, elle et les siens avaient agi naturellement, avec le cœur. »

Cette pudeur et ce désintéressement aident à comprendre pourquoi l’histoire a parfois emprunté des chemins tortueux, voire souterrains, avant de parvenir jusqu’à la troisième ou quatrième génération. Longtemps, Nicolas a ainsi cru que Bertille était « une grand-tante à qui l’on rendait visite, de loin en loin, aux Pays-Bas ». Jusqu’à ce que cette dame, de son vrai prénom Branca, n’entreprenne des démarches auprès de Yad Vashem pour faire reconnaître comme Justes les deux familles auxquelles elle et son frère doivent la vie, les Piel et les Bodin. Deux familles qui, sans doute rapprochées par ces événements, ont en 1947 marié ensemble leur fils et leur fille respectifs, les futurs grands-parents de Nicolas, qui ont continué à considérer Bertille comme une sœur…

« Eclairer l’avenir »

« Au lendemain de la guerre, beaucoup ont voulu tirer un trait, y compris dans les familles qui s’étaient distinguées par leur bravoure, commente Nicole Guedj, la présidente de la Fondation France-Israël. Aujourd’hui, il faut que les langues se délient et que les descendants s’emparent de ce passé pour, ensemble, éclairer l’avenir. » L’ex-ministre caresse déjà l’idée de réunir l’an prochain à Jérusalem des petits-enfants et arrière-petits-enfants de Justes issus de plusieurs pays d’Europe.

En attendant, l’ambiance est aux retrouvailles. Sur le campus universitaire, Adeline a rendez-vous avec « David le berger », que son grand-père Claudius a caché de 1941 à 1945. « J’ai dû quitter une ferme où je m’occupais des chèvres pour me rendre chez les Couturier. Dans l’autocar, je sentais tellement mauvais que personne n’a osé m’arrêter », se souvient le vieil homme, aujourd’hui israélien.

Pour un instant, le rire prend le dessus sur l’émotion. « Quand, trente ans après, j’ai retrouvé la trace de Claudius, je me suis rendu chez lui. Il m’a immédiatement montré une petite photo qu’il avait conservée. C’était moi, avec une petite chèvre qui mangeait mon imperméable. J’ai alors fondu en larmes. » Adeline, elle, a fait de même. Jamais elle n’en a appris autant sur son grand-père aujourd’hui décédé.

DENIS PEIRON (envoyé spécial à Jérusalem)Source La Croix 6/5/2011

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