En sortant de la gare de Saint-Omer, après avoir franchi un pont qui enjambe l'eau verte non pas du canal du Midi mais de l'Aa, je me suis assis sur un banc près des ruines de l'abbaye Saint-Bertin pour noter mes premières impressions.
Quand je suis parti de Lille ce matin, le ciel était clair et dégagé, ce qui me valut de pouvoir admirer un superbe panorama des Monts de Flandre alors que le train roulait entre Bailleul et Hazebrouck. Plus loin apparurent les taches blanches des vaches dans la verdure des pâturages et les carrés jaunes des champs de colza. Avant d'arriver à Saint-Omer, quelques moutons blancs se promenaient dans le ciel, tels des boules de ouate bien blanche artistiquement disposées. Mais déjà se profilaient à l'horizon la tour de la cathédrale et la silhouette massive de la chapelle du collège des jésuites.
La dernière fois que j'étais venu ici, c'était au mois de décembre. Les trottoirs étaient couverts de neige et les branches des arbres dénudées. Aujourd'hui, ils ont retrouvé leur feuillage, les oiseaux chantent et les rosiers sont en fleurs.
J'aime ces endroits où le silence est roi, le calme propice à la méditation et au recueillement. Les ruines de l'abbaye Saint-Bertin ne donnent qu'une mince idée de sa splendeur et de son rayonnement passés. Elles n'en restent pas moins imposantes. Des travaux d'aménagement récents, en abattant tous les arbres qui l'entouraient, leur ont fait perdre leur charme romantique hugolien. Leur verticalité contraste maintenant avec l'horizontalité du gazon. Elles s'érigent solitaires, dressées vers le ciel, construites à une époque où l'humanité savait que pour s'accomplir pleinement, il lui fallait regarder au-delà de la satisfaction des besoins quotidiens. D'ailleurs, ce n'est pas tant la fureur révolutionnaire qui a mis le bâtiment à mal que la rapacité des entrepreneurs qui rachetèrent ce bien national, le désossèrent de ses armatures métalliques pour en tirer un profit immédiat.
M'enfonçant dans le centre ville pour aller déjeuner, je passai devant la Boîte à musique, le magasin qui vend des sons et des instruments, qui existe au moins depuis que j'ai fréquenté le lycée Alexandre Ribot, il y a 30 ans en 1981, une sacrée année ! Cette immuabilité ne me laisse pas indifférent. Attablé à la brasserie l'Estaminet, j'eus tout le loisir d'observer par la fenêtre de l'établissement les trésors architecturaux de la Grand-Place. Les élus locaux, socialistes pourtant, aiment leur patrimoine et en prennent grand soin. Ce n'est pas comme dans une ville que nous connaissons bien, où sous prétexte de nécessité, d'urgence et de modernité, on a une tendance impulsive et spontanée à faire passer le bulldozer.
Après un bon repas, je m'attardais dans une promenade digestive dans le jardin public. Il a été édifié dans les glacis des fortifications lors de leur démantèlement. Il en reste des traces qui se fondent dans le paysage. Suivant les principes hygiénistes de l'époque, on a préféré l'air pur et la verdure à la périurbanisation et à la pollution. Ce jardin est planté d'arbres qui cachent leur âge vénérable sous une majestueuse beauté. C'est un imposant cèdre venant de l'Etat d'Oregon aux Etats-Unis qui ouvre cette longue série.
Je redescends vers la médiathèque en passant par la cathédrale et la statue de mon camarade le musicien Monsigny (XVIII° siècle). Le temps d'emprunter quelques livres parmi tous ceux proposés (incroyable mais vrai, il y a plus de choix qu'à la bibliothèque municipale de Lille !) et de consulter quelques documents aux archives, il est déjà l'heure de repartir.
Au retour, je suis dans un train à étage. Je monte et de là je peux mieux voir ce qui nous entoure, ce qui me permet de réaliser que nous nous déplaçons dans un océan de verdure. Moralité : il n'y a pas que la montagne qui est belle !