L’annonce du départ d’un contributeur fort connu de Wikipédia me pousse pour la première fois à utiliser la voie du blog pour faire part de ma pensée. J’avais commencé à répondre sur le bistro il y a quelques jours mais il me semble plus opportun de ne pas mélanger les réflexions personnelles avec les contributions encyclopédiques. Certes, le personnage avait les « pieds sensibles » comme il aimait à le dire1, mais certaines de ces positions révélaient un malaise déjà évoqué par Fabrice Ferrer sur le Bulletin des administrateurs (BA) il y a quelques semaines.
Il manque d’ailleurs sur le bistro quelques réactions qu'il aurait été intéressant de lire, mais je ne me fais pas d'illusion sur le fort taux d'abstention ! Hormis une capacité surhumaine de calme et de patience qu'il faut avoir, on doit, je crois, surtout faire preuve de recul et de réflexion. Je l'avais déjà suggéré, on avait pointé ma naïveté à ce sujet. Sans doute...
Mais une autre façon d’analyser le malaise est peut-être dans la structure artificiellement « hiérarchique » du projet. Au lieu de fustiger d'une manière ou d'une autre les (ou des ?) administrateurs, comme on peut le voir dans certaines réactions, il me semble qu'il faudrait sérieusement revenir aux fondamentaux : les administrateurs ne sont ni des porte-flingue2 ni des rédacteurs en chef. Paradoxalement, ce ne sont pas les admins qui véhiculent le plus ces fausses idées, mais plutôt certains non-admins qui, dès qu'un conflit, même léger, se déclenche, hurlent à l'abus de pouvoir au nom de la lutte des classes (bon ok j'exagère, mais à dessein !). Or, les admins ont simplement trois boutons supplémentaires qui leur permettent d'effacer une page, de la protéger en écriture ou de bloquer un contributeur. Les autres aussi peuvent révoquer, effacer, renommer, etc. Tant qu'on ne gommera pas cette idée que les admins sont dotés de pouvoirs surnaturels, on se heurtera au même problème.
Les clefs du pouvoir ?
Les élections sont le reflet même de cet état d’esprit. À lire les motivations de vote, on a l’impression de confier le bouton atomique ! Et ce sont surtout les contributeurs anciens et prolifiques qui provoquent l’effet d’accélération. D’un simple mot déplacé il y a six mois, d’une position un peu ferme qui n’a pas plu, on monte un drame qui se répand sur l’ensemble des votes comme une traînée de poudre, allant même parfois jusqu’à faire changer d’avis trois ou quatre contributeurs qui avaient accordé « toute leur confiance » (sic) et qui, sur ses nouvelles bases, auront vite fait d’avoir un avis « contre fort ».
On demande tant de pureté à ces candidats à l’administration qu’une fois qu’ils sont élus, on leur voue une vénération telle qu’au moindre désaccord, la religion tout entière s’écroule ! Et les guerres de religion se déclenchent. Caricature, certes, mais pas si éloignée de la réalité.
Quelques solutions simples pourraient cependant dédramatiser un certain nombre de cas supposés difficiles, en se basant sur la vie quotidienne de Wikipedia. Une contribution peut facilement être révoquée par n’importe qui ; il en va de même des actions des administrateurs. De la même façon, un blocage ou un effacement peut être annulé très rapidement par un autre détenteur de l’outil adéquat.
Partant de là, un seul administrateur peut interdire en écriture un contributeur pendant une période donnée, sur le fondement d’usages en vigueur. On pourrait imaginer que sans autre forme de procès, on interdise à un administrateur d’utiliser ses outils pendant quelque temps, sans non plus initier un procès long et douloureux qui aboutisse à une destitution3.
Revenons à la raison, revenons à des actions plus nuancées, dédramatisons la suspension des outils comme on a depuis longtemps appris à relativiser une révocation dans l’espace encyclopédique. Et surtout, rendons aux outils d’administration leur fonction première : protéger l’encyclopédie.
Au piquet avec un bonnet d'âne
Le blocage est encore trop souvent utilisé comme une punition, en particulier dans le cas de contributeurs anciens et/ou expérimentés ou d’autres administrateurs. Les règles sont pourtant claires : on ne bloque en principe que pour protéger l’encyclopédie, pas pour réprimander un contributeur qui aurait failli à ses devoirs. Là encore, les administrateurs ne sont fautifs que par le contexte : quelques spécialistes savent parfaitement utiliser les requêtes de manière à provoquer un débat qui aboutisse à un blocage. « M’sieur m’sieur, y m’a dit un gros mot » est souvent pris au sérieux et entraîne rapidement une punition, même si ledit contributeur est venu largement s’expliquer sur les motivations de ses débordements et si l’on peut donc considérer que l’encyclopédie ou les utilisateurs n’ont pas de besoin particulier d’être « protégés ». Bien sûr, ce genre de dérapage ne peut être toléré, mais on devrait avant tout privilégier la réponse graduée. Un contributeur n’en vient que rarement à en traiter un autre de con sans contexte, une guerre d’édition ou des nerfs se joue au moins à deux !
Je le plaide ici ou là lorsque j’en ai l’occasion, mais je milite ardemment pour l’application d’une règle que je n’ai pas inventée : l’esprit de non-violence4. Ne pas répondre, attendre 24 h, passer à un autre hobby, sont autant de manières d’éviter un conflit direct. Cela n’empêche en rien la conviction mais favorise la nuance. Car dans l’excès rien n’est bon !
D’aucuns crieront à la prétention ou à la naïveté ? Certes, le propos est banal, le voeu est pieux, mais n’existe-t-il pas une solution toute simple : la désignation de quelques représentants sans aucun outil supplémentaire mais avec un mandat de la communauté pour imposer certaines mesures ponctuelles aux contributeurs, dans l’esprit du bandeau R3R qui n’a rien de technique. Par exemple, interdire à deux contributeurs d’intervenir sur l’article X pendant 48h, demander à un requérant d’une action administrative de préalablement contacter son contradicteur ou effacer une intervention contraire au savoir-vivre sans autre forme de procès5.
Un éventuel prochain billet de la même veine sera vraisemblablement intitulé : « Peut-on détenir simultanément le pouvoir dans la vraie vie et sur Wikipedia ? »
Note : Image en provenance de Commons. Auteur : Geierunited.
1. ↑ Pour éviter tout malentendu sur mes intentions, je précise que j’ai eu l’honneur d’appartenir à la
blacklist du personnage.
2. ↑ L’expression n’est évidemment pas anodine, son auteur se reconnaîtra !
3. ↑ Utilisé non fortuitement !
4. ↑ Depuis l’écriture de ce billet, j’ai même eu la chance d’être qualifié de bisounours, ce qui ne manque pas de piquant au vu de mon statut professionnel !
5. ↑ Attention, il n’est évidemment pas question de ressusciter nos défunts Wikipompiers.