Bon à Tirer n’est peut être pas un grand film, mais il a l’intérêt de parler très fort et très crûment de ce que l’on n’arrive pas toujours à murmurer sur l’oreiller, même en utilisant des chemins de traverse
Quiconque aura vu le dernier film des frères Farrelly avec sa copine ou son copain, se sera rendu compte qu’au delà de l’aspect comique – dont l’efficacité restera à la discrétion de chacun – certaines questions, peur, frustrations, se retrouveront rapidement soulevées au bar, pendant la dégustation de la pinte d’après film.
L’infidélité masculine est-elle, à terme, inévitable ? Est-ce naturel que je fasse mine de dormir, lorsqu’il espère visiblement autre chose ? Pense-t-il ou elle à quelqu’un d’autre lorsqu’il ou elle couche avec moi ? Bref, notre vie sexuelle est-elle normale, épanouissante et adaptée au monde moderne ?
Par sa crudité de langage, et l’insolence de certaines de ses situations, Bon à Tirer trouve son principal intérêt par sa capacité à communiquer à chaque spectateur ce que son autre moitié n’oserait pas forcément lui dire, par peur – sincère et respectable – de blesser, d’offenser, voire de choquer.
La question de la qualité de la vie sexuelle au sein du couple est une question qui n’était pas autant soulevée par les médias il y a une vingtaine d’année. La libéralisation de la sexualité dans la société était certes nécessaire, mais a malencontreusement déviée vers une nouvelle formulation de ce que signifie être « à la page » sexuellement. Un mec cool devra se réveiller tous les samedis matin avec une autre fille dans son lit. Une fille libérée devra aimer le sexe de façon inconditionnée. Un couple moderne devra être ouvert et ne plus se cantonner à l’idée de monogamie. Tout comme ces couples du film dont les femmes décident d’offrir à leur mari respectif une semaine hors mariage pour qu’ils puissent “sortir de leur système” cette envie chronique de coucher avec toutes les filles qu’ils croisent.
Au delà donc de ce matraquage médiatique qui pourrait finir par nous faire croire que la sexualité fantasmée doit devenir sexualité réelle pour tout le monde, cette profonde interrogation de notre
génération sur sa vie sexuelle vient probablement d’une autre norme du monde dans lequel nous avons grandi. En effet, si nos parents ne sont pas divorcés, les parents de notre meilleur ami le sont,
ou ceux de notre voisin ou de notre barman. Les divorces et séparations se sont tant multipliées au fil des ans qu’ils en sont presque devenus à nos yeux une norme, une fatalité. Ainsi quand on est
amoureux à 25 ou 30 ans et que l’on veut imaginer un futur, il est difficile de ne pas se poser cette question (surtout les filles d’ailleurs, mais soyons honnêtes les gars, on peut se la poser
aussi !) : comment faire tenir nos couples sur la durée alors que nos modèles n’ont pas réussi ? Le facteur sexe entre ici en jeu puisque, au cas où vous ne l’auriez pas encore entendu, il paraît
que la relation physique est importantE dans une vie de couple ! La vie sexuelle peut alors devenir dans les esprits un secteur dangereux,
une cause de cette séparation qui de toute façon doit arriver, plutôt qu’un lieu d’épanouissement et de plaisir.
Il ne faut pas croire tout ce que nous ont dit nos parents, et il ne faut pas croire tout ce que les médias nous racontent !
Chacun doit trouver sa vérité. Et à l’inverse, la prise de conscience que permet ces films, qui ne se refusent rien, peut aider à la discussion et au renouvellement de la vie sexuelle du couple, empêchant ainsi cet “emprisonnement du quotidien” qui en inquiète tant, et à raison.
De nombreux (si ce n’est tous) hommes et femmes se reconnaîtront, à différents degrés, dans les questions soulevées par les personnages. Et il ne faut pas avoir peur de se le dire. C’est là où la frontière peut s’avérer délicate à trouver : il faut accepter que la conversation s’ouvre sans considérer que les réponses dictées par la “cool attitude” n’en deviennent nécessairement les objectifs à atteindre. Car la sexualité demeure une chose intime, personnelle au couple et – il est bon de le rappeler de temps à autre – romantique. Parce qu’après tout, même si l’expression sonne un peu ridicule aujourd’hui, « faire l’amour » quand on y pense, c’est une très belle expression.
Matteo Silb.