« Des Hommes » n’est pas un film sur les hommes, c’est un film sur des femmes, des prostituées, s’exposant dans des vitrines, et c'est aussi un film sur la ville. La ville étant le lieu où elles sont, où on les voit, où les hommes passent, parfois s’arrêtent, souvent les soirs de noëls. Car les hommes sont un prétexte, un accessoire, un objet, parfois celui du désir, un instrument, leur gagne pain, une passion, une nécessité. Les hommes passent dans les rues comme les poissons dans les rivières. Ils sont souvent insaisissables. Parfois de simples silhouettes, parfois une ombre. Alors les femmes doivent ruser pour les faire venir, et lutter parfois pour les faire partir : refuser de s’apitoyer, de tomber amoureuse, de se laisser charmer. Mais les hommes sont changeants, il y a ceux qui viennent et repartent et d’autres qui parfois restent et vous accompagnent, un temps, un bout de chemin. Ces femmes nous parlent de leur vie, de leur petit bonheur quotidien, de leur lassitude et de leur travail. Les rencontres avec les clients, leur rôle social, mais aussi la dureté du métier, les douleurs et souffrances liées aux conséquence sur l’identité de faire de son corps un instrument de travail.
Tourné avec de longs travellings à l’épaule, de longs plans sans personnages, alternant avec des séquences montrant des silhouettes mouvantes, ou des morceaux de corps : une main, un genou, une chevelure, un pied dans une chaussure, le film donne la part belle au récit, aux voix, aux mots que ces femmes prononcent, déroulent, murmurent, récitent. Du coup, la cinéaste, Khristine Gillard, réussit un coup de maître : aborder le sujet de la prostitution sans sombrer dans le cliché, le sensationnel ou le tristement banal. Les tranches de vies, forcément fragmentaires, sont comme un fil rouge sur une variation filmique qui donne à la ville, aux lieux et aux personnages (les inconnus dans les rues, sur les chantiers, les filles dans leurs vitrines) une dimension capitale et poétique. L’art flirte avec le réel : ce documentaire diverti et charme. « Des Hommes » surprend, images et paroles rarement s’accordent mais forment un ensemble d’une rare beauté. Les scènes filmées ne montrent rien, et avec ce qui est dit, parlé et raconté, l’ensemble prend une dimension tragique : les femmes sont dans la ville comme des éléments de décors. Cette poésie filmique devient heurtante.
Un article de Philippe Simon sur Cinergie.be.
Des Hommes
de Khristine Gillard, 70 minutes, VF, 2008, Production : Ambiances…asbl - Belgique. (disponible en DVD).