Une ligne ferroviaire ayant pour point de départ le port d'Anvers, qui, via l'Allemagne et la Pologne, puis l'Ukraine, la Russie et la Mongolie, ralliera la Chine jusqu'à la plus grande ville chinoise (Chongqing, 32 millions d'habitants), soit près de 11.000 kilomètres. Le projet va cependant plus loin : les voies fluviales et ferroviaires chinoises feront de Chongqing un hub relié directement à l'Europe. Un projet qui, cependant, en dehors du port d'Anvers, ne sera pas aux mains d'opérateurs belges, au grand dam de la SNCB. C'est la société suisse, HUPAC, un des leaders européens du fret par rail, déjà en contrat avec le port d'Anvers, qui assurera la liaison Belgique-Chine, en association avec deux partenaires russes (Russkaya Troyka et Eurasia Good Transport).
Il peut paraître surprenant qu'une institution portuaire soit au coeur d'un projet ferroviaire transcontinental. Le doute se lève dès lors qu'en termes de temps, le fret acheminé d'Anvers à Chongqing le sera en deux fois moins de temps que par voie maritime (environ 20 jours contre 40). Malgré les problèmes récurrents en matière de transport international par rail, dont l'écartement des rails, un gain considérable de temps est à la clé du projet. L'argument environnemental vient compléter le projet. Un transport ferroviaire, deux fois plus rapide que le transport maritime serait moins consommateur en énergie. Quant au volet administratif, il ne serait pas en reste. Une coopération et surtout la mise en place d'un système d'échange d'informations entre les services douaniers des pays concernés seront nécessaires. Bref, une « Green Train Line » entre la Chine et l'Europe, une première mondiale attractive… Le port d'Anvers se verrait ainsi devenir « le hub » européen pour le transit de marchandises à destination de la Chine. Largement aidé par son hinterland, Anvers deviendrait le passage obligé des marchandises, non seulement européennes mais également du Nord de l'Amérique, du l'ouest Africain, etc… Anvers accueillera certainement aussi de nombreuses entités économiques ou autres de l'Empire du Milieu. Les retombées économiques pour la région pourraient être considérables.
La Belgique, et plus particulièrement la Région flamande, est, semble-t-il, en train de modifier, ou en tout cas de tenter de modifier, les cartes géostratégiques et géoéconomiques actuelles. Réduire le trafic maritime à destination de la Chine au profit d'une liaison ferroviaire implique une vision géoéconomique nouvelle. La Russie est au coeur de cette nouvelle vision (et participe d'ailleurs pleinement au projet). Il en va de même de la place de l'Ukraine. Concernant la Chine, actuellement focalisée sur le développement d'Est en Ouest de son territoire, elle pourrait se libérer de cette contrainte. Au sein même de l'Europe, une modification des équilibres de puissance (en terme de flux et d'acheminement de marchandises tout au moins et donc de création de valeur) pourrait s'opérer au profit de l'Europe du Nord (Benelux, Nord-Ouest de l'Allemagne,…). Ces glissements d'équilibres ne semblent pas se faire au profit de la France. Aucun partenaire français n'est évoqué dans le projet ferroviaire entre le port d'Anvers et Chongqing. De plus, le grand chantier du canal « Seine-Nord Europe », une fois terminé, sera une autoroute fluviale reliant l'Ile de France au port d'Anvers (et sa nouvelle gare) ; probablement au détriment du port du Havre (Lire La guerre des puissances portuaires en Europe). Faut-il être aujourd'hui un petit pays, sans gouvernement fédéral qui plus est, pour avoir des idées de développement ambitieuses?
Stéphane Mortier