Interview de Jérémy Moncheaux/ Propos recueillis par Julie Cadilhac- Bscnews.fr/ Illustrations- Jérémy Moncheaux/
Pourquoi avoir choisi le dessin comme forme d'expression?
C’est une réponse classique mais je dessine depuis tout jeune et je sens qu’à travers le dessin je m’épanouis. En fait c’est venu tout seul ça fait parti de moi maintenant, si je ne dessinais pas il y aurait un grand vide dans ma vie. Ce que j’aime c’est quand une image est réussie et que l’on a l’impression de pouvoir rentrer dedans, c’est comme créer des fenêtres sur son imaginaire. Savoir que l’on est parti d’une feuille blanche et qu’avec quelques nuances on arrive à donner ce sentiment, c’est quelque chose de formidable.
Enfant, vous intéressiez-vous au côté technique de la création d'un dessin ou vous laissiez-vous simplement emporter par vos émotions?
Je me laissais emporter par mes émotions, je dessinais ce que je voyais ou regardais à la télé, ce qui me passait par la tête. Techniquement je n’y connaissais rien donc je mélangeais tout, mine de plomb, crayons de couleur, feutre, stylo.Je me rappelle quand je faisais de la peinture sur la table de cuisine recouverte d’une nappe en plastique, avec mon petit tablier en plastique tout était bien protégé, mais j’arrivais quand même à repeindre le carrelage. Le résultat n’était pas très fameux c’était souvent une bouillie marron, sur ce qui devait être une feuille blanche. Malgré tout l’amour que ma mère me portait ça finissait souvent à la poubelle. J’adorais aussi les bateaux et les robots. Je commençais à les dessiner sur une feuille et quand elle était trop petite j’en collais d’autres autour. Il arrivait donc que je me retrouve avec des bateaux de plusieurs mètres de long, ça m’amusait beaucoup.
Quel est le premier dessin (de votre crayon) dont vous vous souveniez?
Un bateau de pirate jaune mais très jaune, c’est mon premier souvenir de dessin, j’étais en maternelle.
Parlons d'abord de ces deux magnifiques séries: Mémoire ouvrière et Mineur. Comment sont-elle nées?En fait je viens d’un milieu ouvrier et mon grand-père était mineur. C’est une recherche sur mes racines, n’ayant pas connu mon grand-père, le fait de peindre et d’apprendre ce qu’était la mine m’a rapproché de lui. Ensuite j’ai poursuivi naturellement sur la mémoire ouvrière, c’est une culture très riche qui a sculpté la géographie de bien des régions françaises et celle du Nord en particulier. J’ai baigné dans ce milieu et j’ai toujours vu des usines près de chez moi ça n’a fait que nourrir mon univers. Je pense qu’un artiste est un filtre, il retranscrit avec ses émotions et ses idées ce qui passe à travers lui. C’est un témoignage pour ces gens que l’on oublie très souvent.
Mémoire ouvrière joue avec des nuances sombres en opposition aux couleurs de la série Mineur: est-ce parce que vous affectionnez le dessin noir et blanc ou parce que vous trouviez que c'était la meilleure façon d'exprimer l'univers ouvrier?
Dans la série des mineurs il y a aussi du noir et blanc mais pour les études et croquis, les grands formats, je les ai tous réalisés en couleur. Après j’ai eu envie de faire du noir et blanc, je voulais donner une ambiance de vieux film un peu à la Fritz Lang. Dans cette série l’architecture a plus de place, j’essaie de faire en sorte qu’elle devienne un personnage, l’humain, lui, est un peu écrasé. C’est l’impression que l’on a quand on rentre dans ces usines, tout est gigantesque et souvent elles sont vides, ce qui renforce cet écrasement. Pour retranscrire cela, le noir et blanc me semblait judicieux: le rapport est plus direct, c’est la lumière qui s’exprime avant tout.Mais j’en ai aussi fait quelques unes en couleur car il y a souvent de très beaux contrastes de couleur dans ces usines.
Vous utilisez le fusain ou l'acrylique pour vos illustrations. Qu'est-ce qui vous pousse à choisir l'un plutôt que l'autre?
Tout dépend le sujet, si je dois faire de la couleur c’est l’acrylique qui me permet de faire différents jus colorés sans que la couche du dessous ne bouge. Le fusain lui permet des noirs mats et très profonds, il s’efface facilement ce qui est très bien pour réaliser des études.
Le thème de la mine vous a-t-il attiré parce qu'il est un prétexte idéal à jouer avec les jeux d'ombre et de lumière? À dessiner des peaux marquées par le travail?
Oui cela a beaucoup compté aussi, au delà de la portée humaine. La mise en ambiance était un vrai régal, les scènes dans les galeries me permettaient de travailler le clair obscur. De plus il y avait beaucoup de poussière quand les mineurs creusaient ce qui m’a permis de jouer avec ce côté brumeux presque fantomatique.
Seriez-vous tenté d'éditer une version illustrée de Germinal?
Pourquoi pas.
On dit souvent que les mains sont une des parties du corps les plus difficiles à dessiner: validez-vous cette affirmation?
C’est vrai, mais c’est aussi un des éléments les plus expressifs du corps. Bien les réaliser affirme le sentiment que l’on veut faire passer aussi, au-delà de la difficulté, ça devient un vrai plaisir.
Vous plongez-vous systématiquement dans un contexte narratif avant de faire une illustration?
Oui j’ai besoin d’être entouré de photos pour me plonger dans l’univers, je regarde souvent des films qui sont en rapport avec le thème ça me met dans l’ambiance. Une fois que l’on a tout cela en tête, le crayon se lâche plus facilement et l’on n’a plus besoin d’avoir le nez collé sur sa documentation. Quand j’ai fait Ker-Is (légende Bretonne) je suis même allé passer des vacances en Bretagne.
Beaucoup de portraits sont nés uniquement de votre imagination ou de modèles photographiés ou observés en action?
Beaucoup de portraits viennent de mon imagination cela laisse plus de liberté, mais au bout d’un certain temps j’ai tendance à reproduire la même chose, la même forme d’yeux ou de visage. Pour cela la photo est très utile, elle permet de ne pas se répéter, la réalité nous offre cette variété. Il m’arrive aussi assez souvent de reproduire de mémoire des visages que j’ai vus dans la rue, j’en ai déjà croqués sur le vif, mais ça je le fais plus rarement car ce n’est pas du tout discret.
Deux couples qui dansent au milieu de cette existence difficile...ces deux images reposantes étaient-elles nécessaires...comme une respiration dans une série étouffante?
En fait les mineurs étaient des personnes très joyeuses, très solidaires; c’est compréhensible vu la difficulté du travail. Il y avait souvent des fêtes, des kermesses, les corons étaient des lieux où le lien social était très important. Il fallait donc que cette partie de leur vie soit présente.Moi, je n’ai pas particulièrement développé ce côté là.L’envers du décor n’était pas très rose. La maladie, la mort faisaient partie de leur quotidien. Quand j’ai exposé à la mine de Wallers-Arenberg, un mineur nous a présenté les lieux et raconté l’historique du site. Il nous a dit qu’en 100 ans d’exploitation du site minier il n’y avait eu « que » 120 victimes du travail, le « que » est assez marquant. Il y avait aussi l’exploitation humaine, et il n’y a pas d’autre terme pour dire ça. Un mineur disait que quand la compagnie vous donnait votre pension (retraite) c’est qu’elle n’avait plus longtemps à la payer. Cavanna disait des mineurs qu’ils étaient intolérablement joyeux, oui malgré tout ça ils étaient joyeux.
Peut-on affirmer que vous pratiquez une démarche cubiste pour brosser les traits de vos mineurs? Pourquoi?
Cubiste je n’irai pas jusque là, je synthétise, j’accentue la dissymétrie du visage et j’essaie de ne pas tomber dans la caricature. Tout jeune j’ai fait du graf et ça m’a beaucoup aidé à décomposer le trait, à retenir l’essentiel. Tout ça s’est mélangé à mes différentes influences, Egon Schiele, Gustave Klimt, Spilliaert, Fritz Lang, mon amour pour la photo. Après avoir digéré ces inspirations en sont sortis ces visages.
Votre série portraits semble le prouver...vous préférez dessiner des visages atypiques, présentant des défauts physiques marqués?
C’est mon crayon qui s’exprime mieux sur une ride que sur une peau lisse.
Il est vrai que j’apprécie les gueules cassées, les visages qui racontent des histoires me plaisent énormément, j’ai vu beaucoup d’ouvriers avec des traits magnifiques, burinés par le travail, on aurait dit des sculptures. En fait on est entouré de visages atypiques, nous sommes tous très différents. Nous sommes dissymétriques, je ne fait qu’accentuer tout ça.
En même temps c’est très intéressant de dessiner un visage lisse d’enfant ou de jeune femme car il ne faut pas trop les marquer, le moindre trait trop appuyé et ils prennent dix ans. Il faut alors amener la force dans le regard. C’est un très bon exercice et il ne faut pas s’enfermer dans un registre.
Vous dessinez aussi pour les enfants: quels thèmes nourrissent les images que vous imaginez pour eux?
L’aventure, l’imagination, la découverte, la surprise, la réflexion…
Vous utilisez alors la couleur mais en y ajoutant une note vieillie, nostalgique...Etes-vous de ceux qui préférez les vieux jouets en bois aux objets technologiques d'aujourd'hui ?
C’est vrai que je préfère les vieux jouets. Souvent la contrainte du matériau dans lequel ils sont fabriqués leur donne des formes simples et sensuelles. Mais les jouets technologiques m’amusent beaucoup aussi. Après sont-ils produits dans de bonnes conditions ? ça, c’est un autre problème.
Quel est le dernier album que vous ayez réalisé pour eux? Pourquoi vous a t-on choisi pour en être l'illustrateur?
C’est « Ker-Is la légende de la ville au milieu des flots » écrit par Jean-pierre Kerloc’h, on m’a choisi car j’ai un style réaliste qui se prête bien au classique. Comme je suis entre l’illustration et la peinture, je peux amener une ambiance assez personnelle. J’aime aussi travailler l’architecture. C’était très important pour ce texte où il fallait créer la cité d’Is, ville de légende comme le dit si bien le titre. D’ailleurs ce sont mes croquis de la cité qui m’ont permis de réaliser cet album. Et d'autres petits projets....
Enfin...des projets d'exposition, d'édition ou autres...pour cette année 2011?
Je participe à une exposition où je présenterai le début de ma série sur les paysages pour la « Nuit des Arts » le 14 mai à La Forge, le siège de l’association du Non-Lieu au 117, rue Montgolfier 59100 ROUBAIX.
Je prépare un album chez Glénat Jeunesse avec Jean-Pierre Kerloc’h qui sortira début 2012.
Avec Jean-Pierre Kerloc’h également, nous travaillons sur un texte pour Albin-Michel-Jeunesse.
Pour lire l'interview de Jérémy Moncheaux dans le BSCNEWS d'avril 2011, cliquez ici!