Les statistiques de trafic d’Emirates montent au ciel
Année aprčs année, on s’interroge, on hésite entre perplexité et admiration. On se dit aussi que c’est trop simple pour ętre vrai : Emirates, devenue un géant, compagnie la plus importante du monde par son trafic international, annonce de solides bénéfices pour la vingt-troisičme année consécutive. Et quels bénéfices ! Un milliard six cents millions de dollars, pour un chiffre d’affaires de 15,6 milliards, en progression de 26,4%. Cela malgré une conjoncture plutôt défavorable, des problčmes conjoncturels propres ŕ une difficile sortie de crise, un volcan fou furieux, le pétrole hors de prix.
On lit et relit les documents, les interventions du Sheikh Ahmed bin Saeed Al-Marktoum, président, les propos toujours trčs mesurés de Tim Clark, directeur général. On cherche la faille, le truc, la trace de subventions cachées, d’aides indirectes, de factures de carburant qui se perdraient dans les sables du désert sans ętre honorées. On examine ŕ la loupe la définition juridique de la Ť6e libertéť telle que comprise par les experts internationaux les plus réputés mais qui ne figure évidemment pas dans la sacro-sainte Convention de Chicago. On se souvient des attaques en rčgle de Jean-Cyril Spinetta, président d’Air France-KLM contre Emirates présentée comme une arme de destruction massive. Et on ne trouve rien, absolument rien de répréhensible, de discutable.
Sortie de nulle part, Emirates transporte maintenant plus de 31 millions de passagers par an avec une flotte de 148 long-courriers, attend la livraison d’une cinquantaine d’appareils supplémentaires et prévoit de nouvelles commandes qui seront signées en fin d’année. Le réseau ne cesse de croître et embellir, les inaugurations de lignes se succčdent avec une belle régularité. C’est le transport aérien pour les nuls, comme simplifié ŕ l’extręme : il suffit de passer commande d’avions ŕ Airbus et Boeing, de les mettre en ligne sur un réseau mondial, centré sur Dubaď, le milieu de nulle part, et les voyageurs se précipitent.
Sauf erreur de notre part, aucune autre compagnie aérienne d’une certaine importance n’affiche des bénéfices qui correspondent grosso modo ŕ 10% de ses recettes. Ce devrait pourtant ętre partout pareil, pour que les actionnaires soient heureux mais ce n’est jamais le cas. Du coup, on a le sentiment que les voyageurs au long cours du monde entier attendaient que se présente ŕ eux une compagnie digne de leurs exigences, trčs Ťclasseť, tout ŕ fait cosmopolite, sans autre rapport apparent avec le Proche-Orient que l’Etat d’immatriculation de sa flotte. Emirates est tout ŕ fait mondiale, tendance apatride.
Le cas d’école est fascinant mais il apparaît de plus en plus clairement que cette réussite planétaire exige de grands efforts, jour aprčs jour, et qu’il convient de regarder au-delŕ des préjugés, des rumeurs, des erreurs d’appréciation. Un exemple saute aux yeux : Sheikh Ahmed déplore les effets néfastes de la hausse du prix du pétrole. Si le prix du baril était resté ŕ son niveau de 2009, explique-t-il, le bénéfice d’Emirates engrangé au terme de l’exercice fiscal 2010/2011 aurait été plus élevé de 270 millions de dollars. Tout au contraire, le carburant intervient maintenant pour 34,4% des coűts directs d’exploitation de la compagnie, ce qui est lourd ŕ supporter. Emirates paie son kérosčne comme tout un chacun et, de toute maničre, il n’y a tout simplement pas d’or noir ŕ Dubaď.
Les difficultés diverses de l’année derničre n’ont pas vraiment affecté Emirates, notamment parce qu’aucune région du monde ne compte pour plus de 30% de ses recettes. Les risques sont donc judicieusement répartis tandis que le rapport entre l’offre et la demande fait l’objet d’une surveillance de chaque instant. La croissance est forte et rapide mais le coefficient d’occupation des sičges tourne constamment autour de 80%, indiquant qu’il n’y a lŕ aucune tentation de fuite en avant.
Les vrais soucis sont ailleurs et relčvent des sujets qui fâchent. Le monde de l’aérien, vu de Dubaď, souffre encore et toujours de contraintes d’un autre âge alors qu’il faudrait une fois pour toutes qu’il soit dit que l’espace aérien appartient ŕ tout le monde, que la libre concurrence ne peut avoir que des effets positifs pour les voyageurs.
Dčs lors, on se prend ŕ réécrire l’histoire. Si Emirates avait déjŕ existé en 1944, sa tutelle serait venue ŕ Chicago pour vanter les mérites de la formule des Open Skies. Laquelle, avec l’appui des Etats-Unis, aurait peut-ętre triomphé de théories propices ŕ une réglementation stricte des voies aériennes. Il y a lŕ matičre ŕ un excellent scénario d’aviation-fiction.
Pierre Sparaco-AeroMorning