Par Didier Maïsto : Directeur de la publication.
Ils ne sont pas si fréquents, les intellectuels qui défendent aujourd’hui la liberté d’expression, surtout lorsque les thèses développées sont opposées à leurs propres convictions.
Les pensseurs inde´pendants.
Aussi, c’est avec un vif intérêt que l’on lira dans Le Monde daté du 2 mai la tribune de Michel Onfray intitulée “Camus, Sartre et les nouveaux réacs”.
Le philosophe et fondateur de l’Université populaire de Caen, qui travaille à un prochain livre sur Camus, y rappelle que l’auteur de L’homme révolté a passé un temps considérable à répondre à la haine répandue par les journaux qui se déchaînaient contre ses livres, “coupables de dire la vérité en un temps où l’on préférait le mensonge avec Sartre que la vérité avec lui”, ajoutant, “Camus a accumulé contre lui, à la manière d’un fétiche vaudou, toute la médiocrité de l’époque, mais peut-être aussi toute la médiocrité de la nature humaine”.
Plus d’un demi-siècle s’est écoulé et rien n’a vraiment changé. Comme au bon vieux temps de l’ORTF, la droite, avec Rémy Pfimlin, PDG de France Télévisions (récemment nommé par Nicolas Sarkozy), s’apprête à couper les têtes de Franz-Olivier Giesbert, Guillaume Durand, Eric Zemmour et Frédéric Taddéi, jugés coupables de trop d’indépendance intellectuelle et donc de crime de lèse-majesté. Le tout bien entendu camouflé sous des motifs officiels fallacieux, allant de la “faiblesse” au “vieillissement” des audiences. La gauche ne fait généralement pas mieux, qui ne monte au créneau pour défendre la liberté d’expression que lorsqu’elle juge l’expression tout à fait conforme à sa conception de la liberté. Pour le dire plus simplement?: quand la pensée est estampillée de gauche et sert ses intérêts immédiats.
Peut-on discuter de tout??
Aujourd’hui, pas plus qu’en 1950, il n’est possible de dialoguer et d’échanger dans la sérénité. Michel Onfray l’écrit avec justesse?: “on ne résoudra pas le problème en transformant ses adversaires en ennemis (…). Si d’aventure le débat véritable prenait la place de la polémique, nul doute que reculerait un peu le spectre des échafauds concrets”. Car la question est bien?: peut-on discuter de tout?? En ce qui nous concerne, la réponse est évidemment “oui, bien sûr”. Et personnellement, j’ajouterais même?: “avec n’importe qui”. Car plus une idée nous semble incongrue, dangereuse ou insupportable, plus il convient de la combattre et de la démonter sur le plan intellectuel, argument contre argument et ne pas se contenter du mépris, de l’invective ou de l’insulte, lesquels ne font qu’alimenter le sentiment “du complot général” dans l’esprit d’un nombre grandissant de Français. Si l’on est sûr de ses convictions, si on a une véritable “colonne vertébrale”, pourquoi, dès lors, avoir peur de débattre?? Suffit-il de criminaliser la parole pour régler définitivement les problèmes et faire reculer les extrémismes?? Nous ne le croyons pas. Dans certains cas c’est bien utile. Dans d’autres, c’est assez contreproductif.
Camus décrivait bien ce processus, lui qui affirmait dans L’homme révolté?: “Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme”. En ce qui nous concerne, nous continuerons d’aborder tous les sujets, y compris les plus difficiles, car tout est affaire d’angle et de regard.
Nous continuerons de rester un espace serein d’échange et de débat, n’en déplaise, pour reprendre la formule acérée de Michel Onfray, aux “plumitifs minables qui carburent au ressentiment, habituels médiocres lanceurs de polémiques dont l’écho dû à la renommée de celui qu’ils attaquent leur laisse croire qu’ils sont quelque chose”. Au journal, nous avons bien conscience de n’avoir aucun génie dans nos rangs. Nous préférons donc avoir raison avec Aron que tort avec Sartre.
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