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Une guerre qui ne dit pas son nom
La guerre de l'image est aujourd'hui au moins aussi importante que celle qui se déroule sur le terrain. Chaque partie connaît le pouvoir des médias et surtout comment ceux-ci peuvent décider du cours d'une guerre qui, même si elle est perdue par les armes, peut être gagnée par les cœurs. Le Hezbollah peut en témoigner : de l'avis de nombreux observateurs et spécialistes, si le Parti de Dieu libanais a pu se targuer d'avoir "vaincu" une armée israélienne sur-armée et sur-entrainée en 2006, c'est grâce à la guerre de l'image [1]. Mais, comme sur tout terrain où une bataille fait rage, les techniques et les moyens évoluent, au même titre que les armes et la stratégie.
Le conflit israélo-palestinien ne déroge bien évidement pas à cette règle, il en est peut-être même le paradigme. Lors de la dernière opération armée, Plomb durci, l'état hébreu, ayant tiré les leçons de la guerre du Sud Liban, comprend bien qu'il faut d'un côté rendre une opinion nationale largement favorable à cette intervention militaire, et de l'autre, faire taire une opinion internationale trop critique à son égard. Le point primordial est donc de rendre cette guerre "juste", et le meilleur biais pour que cela réussisse passe, sans aucun doute, par les médias.
Chronologie choisie et guerre asymétrique
Ainsi, le monde entier devait savoir qu'Israël n'était pas l'instigateur de cette guerre, mais qu'il répondait "seulement" à la violence par la violence. L'agresseur n'était donc pas l'état hébreu, mais bel et bien ces barbus fanatiques du Hamas (présentés comme de simples marionnettes du grand frère iranien si l’on caricature la teneur de fond de nombreux articles et essais), qui ont préféré détruire une trêve qui leur était en de nombreux points favorable politiquement, mais également vitale pour Gaza. Cette chronologie des évènements est pourtant dénoncée, certains journalistes ou chercheurs la considérant comme erronée ou partiale, en particulier Alain Gresh du Monde Diplomatique, spécialiste parfois marqué par ses prises de positions, mais observateur attentif de la région qu’il connaît intimement [2].
Autre point important de la bataille médiatique : montrer que les forces armées en présence sont équivalentes, si ce n'est en nombres et en armes, au moins en potentialité de destruction. Cette idée ne date pas d'hier [3], mais pour le cas de cette opération, l'opinion publique a été abreuvée plus que de coutume d'images de roquettes Qassam s'écrasant sur les villes de Sdérot et d'Ashkelon, de représentations d'un Iran destructeur tirant les ficelles en arrière-fond. Suite à cette médiatisation, Denis Sieffert note que l'opinion publique israélienne suivait dans l'écrasante majorité ses décideurs militaires, pour certains futurs politiciens promis aux plus hauts postes. Et difficile de le contredire. Le quotidien de centre-droit Maariv publiait le 2 janvier 2009 un sondage exprimant que 78.9 % des Israéliens étaient "très favorables" à l'opération militaire à Gaza, et 14.2 % "plutôt favorables". En Israël, la guerre de l'image était définitivement gagnée. En Occident, et surtout en Europe, la chose fut plus complexe et passa par une campagne de diabolisation du Hamas [4]. Mais au final, que ce soit ici ou là-bas, la grande majorité de l'opinion publique accepta le fait que Tsahal, "l'armée de défense d'Israël", combatte face à un Hamas présenté comme équivalent en violence, sinon en force et qui plus est usant de techniques déloyales [5].
Les chiffres parlent pourtant d'eux même : 1.300 palestiniens tués selon Al Watan, 1.166 selon l'armée israélienne. Chiffre auquel il faut ajouter 5.300 blessés, dans une grande majorité civile. Côté israélien, on dénombrait 10 militaires et 3 civils tués. A première vue, on peut avouer que la comparaison devient difficile à tenir...
Mettre en lumière et dénoncer la désinformation
Avec La nouvelle guerre médiatique israélienne, Denis Sieffert, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Politis, s'attaque une nouvelle fois à ces épineux problèmes que sont la désinformation et la propagande en temps de guerre. Après La guerre israélienne de l'information : désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien, l'auteur persiste et signe. L'ouvrage s'attaque à de nombreux sujets régulièrement mis de côté par les médias dominants : diabolisation et dépolitisation du Hamas, dénonciations d'antisémitisme à chaque critiques portées à Israël, lobby politique et économique, etc.
Mais loin d'être parfait, le livre se dénote par son côté militant voire partisan, ce qui le fait tendre vers des critiques trop prévisibles. Denis Sieffert ne s'en cache pas, et le revendique dès les premières pages : "Le journaliste engagé que je suis [...]" [6]. Cette notion est donc à garder constamment à l'esprit durant toute la lecture de l'ouvrage. Beaucoup de lecteurs ne verront là qu'une simple rhétorique pro-palestinienne, réduisant ainsi la légitimité, dans ce cas, du chercheur-journaliste. De plus, le manque de subtilité noie le propos et fait tomber une grande partie de l'argumentaire à plat.
Enfin, l'auteur s'attarde trop peu sur un point essentiel de ce conflit : la rétention de toute information par l'état hébreu, imposant aux journalistes un véritable blocus hors de la bande de Gaza, entraînant de cette façon un "recadrage de l'information" sur Israël (et en particulier sur Sdérot) de journalistes obligés de rendre des comptes à leurs rédactions ; parallèlement, cette impossibilité d'aller et venir a eu pour résultat de bloquer, durant un certain moment du moins, les images insoutenables en provenance Gaza. Après l'époque des journalistes embedded, transportés dans les chars de Tsahal même, voici venu le temps des JRI sortant leurs télé-objectifs pour tenter de capter une explosion à plus d'une vingtaine de kilomètres, épaulés de leurs rédacteurs qui tentent d'en faire une information.
Mais malgré ces défauts, la sortie de cet ouvrage reste à souligner car il est l'un des seuls à se focaliser sur cet aspect du conflit israélo-palestinien. Le travail de recherche, de synthétisation et de mise en perspective permet au lecteur une vue d'ensemble du contexte médiatique, de ses réseaux, et donc de la mise en place de cette guerre qui ne dit pas son nom. La réflexion mériterait d'être plus poussée, mais elle a au moins le mérite de ne pas assommer de chiffres ou de références spécialisées un lecteur peu enclin à se pencher sur cette question on ne peut plus controversée, si souvent sujet à polémiques Toutefois, cela reste à double tranchant. Si le livre se veut accessible il peut tout autant être dénoncé pour faible utilisation de sources. Tout dépend donc du lecteur. Cet ouvrage reste donc une bonne manière d'introduire ce problème, encore insuffisamment traité, même par les cercles universitaires malgré des avancées récentes, et ainsi de remettre en questions la plupart des idées préconçues que l'on peut avoir sur l'objectivité journalistique et sur le traitement médiatique. Ce livre pose les bases essentielles à toutes critiques fondées et pertinentes, et mériterait d'ouvrir la voie à un foisonnement plus conséquent d'ouvrages sur le même thème.
Dans l'attente de cette éventuelle floraison intellectuelle, on retiendra les paroles de Gideon Levy, journaliste au quotidien de gauche Haaretz, écrivant à propos de l'opération Plomb Durci : "Il n'y avait aucun doute sur qui était David et qui était Goliath dans cette guerre" [7]. Cette asymétrie principalement militaire emmène avec elle désinformations, manipulations et propagande ; ce qu'a réussi à affirmer l'auteur. Mais ce qu'il a omis de surligner, ou si peu, c'est que cette analyse est valable dans les deux sens. Le Hamas et le Hezbollah, propulsés en nouveaux David, ont également compris les règles du jeu depuis fort longtemps. Et eux aussi comptent bien s'en servir, s'appropriant petit à petit les outils et le savoir-faire propre à l'information et plus encore à la communication. La boucle est ainsi bouclée et la recherche de la paix continue ; sous l'œil médiatique, évidemment. CQFD.
Th. C.
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Notes :
[1] : Et ce malgré 1.300 civils tués, et 4.000 blessés côté libanais.
[2] : Voir à ce propos la note "Gaza : choc et effroi II" publiée sur le blog d'Alain Gresh, Nouvelles d'Orient
[3] : Voir à ce propos le dernier ouvrage de Samy Cohen, Tsahal à l'épreuve du terrorisme, publié cette année chez Seuil.
[4] : Avec en fer de lance des rappels constants de la fameuse Charte de Hamas qui date de 21 ans mais qui, selon Denis Sieffert, "n'a plus aucune résonance dans le discours des dirigeants actuels du Hamas", et doit en tout cas être remise en perspective
[5] : Voir à ce propos l'interview parue dans Le Figaro de Daniel Shek, ambassadeur d'Israël à Paris. Celui-ci accuse le Hamas de crimes de guerre, alors que Tsahal est déjà sous le feu des critiques et que même les journaux les plus modérés dénoncent une "riposte disproportionnée".
[6] : On ajoutera que Politis se défini comme un hebdomadaire "indépendant et engagé" et que la plume de Denis Sieffert côtoie celle des non-moins engagés Bernard Langlois ou encore Sébastien Fontenelle.
[7] : "Gaza war ended in utter failure for Israel", 22/01/09, Haaretz
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"La nouvelle guerre médiatique israélienne" de Denis Sieffert / La Découverte / 153 p.
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Recension publiée sur nonfiction.fr