Huyssmans: Des Esseintes et Le Bar Brittania

Publié le 12 mai 2011 par Cardigan @onlyapartmentsF

Au numéro 24 de la rue parisienne d’Amsterdam, près de la station Saint Lazare, il existe un établissement qui s’appelle Le Bar Britannia. Comme si d’une certaine façon il voulait rendre hommage à son rôle spécial et secret dans l’histoire de la littérature de cette ville, son nom est le seul et unique indice qui permet d’établir une connexion avec le style de local qu’il a été dans les années quatre-vingt du siècle dernier. Alors il s’appelait Austin’s Bar et aucun de ses clients, qui venaient pour la plus part de l’autre coté du canal, ne pouvaient ignorer que sa principale caractéristique était d’être une taverne anglaise. Une taverne obscure et pleine de fumée où les gens venaient principalement pour manger une soupe de bœuf, rosbif, fromage Stilton, aiglefin fumé, patates cuites et une considérable quantité de bière.

Ce mémorable lieu, qui, bien qu’il continue à servir des boissons, a complètement perdu ses anciens signes d’identité, sauf pour les résonances de son nom, est cependant un des points essentiels de l’épineux territoire frontalier où se livre une bataille entre les sensations que produisent l’anticipation d’un événement et la matérialisation de celui-ci. Un des scénarios où la représentation de la réalité imaginée d’avance dans la fête baroque de la veille a comme résultat l’annulation du désir de vivre ce qui conventionnellement se comprend comme la véritable expérience en chair et en os. Un des grands théâtres où, dans le conflit entre la fiabilité, même la véracité de la réalité que nous percevons activement seulement au travers des organes sensoriels externes et de celle que nous offre notre esprit en plein exercice de ses facultés d’imaginations et de désir, triomphe le fanatisme de penser que la littérature et l’art son plus réels que la réalité même, qui en dernière instance ne pourra que nous décevoir car nous attendons trop d’elle. La distance insurmontable entre la réalité et le désir dans laquelle se déroule toute la vie, plus ou moins consciemment.

Ou, selon les mots qui font références au Duc des Esseintes (protagoniste du A Rebours de Huysmans) et la lassitude qu’il ressentit soudainement devant l’opportunité de convertir les rêves en réalité, assis dans cette même taverne. A laquelle il s’est rendu dans le but de manger et de passer un moment en attendant le départ de son train pour Londres, ville à laquelle il voulait se rendre par-dessus tout, lui qui ne quittait jamais sa fascinante maison, poussé par l’incontrôlable désir de se submerger dans une mer de visions de la vie anglaise suscitée par la lecture d’un roman de Dickens. Voici quelques phrases écrites par Huysmans et qui font référence à Esseintes, qui n’a jamais pris ce train pour Londres et qui n’est plus jamais sorti de chez lui : Quel bien peut-il procurer de se déplacer quand une personne peut voyager merveilleusement assit sur une chaise ? N’était-il pas déjà à Londres, dont les odeurs, le climat, les citoyens, la nourriture et même les couverts l’entouraient déjà ? Que pourrait-il espérer trouver là bas à part des nouvelles déceptions ?



Paul Oilzum